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franc. Sa plume a couru, incapable d*aller aussi vite que sa pensée. Quand M. Renan parle des préjugés dont se nourrit la médiocrité, il a souvent des paroles de dédain, froides et d’un excès mesuré. Mais ici l’irritation a pris le pas sur le dédain. Il est visible que le flot de sa colère montait, et qu’il a suffi d’une circonstance insignifiante, une sotte réclame de journal, l’annonce d’un « Béranger des familles », pour la faire extravaser en torrents de verve, In irà veritas.

C’est une singulière histoire que celle de la réputation de Béranger. À le voir si populaire, choyé dans sa retraite par les hommes les plus considérables du temps, on a pu croire qu’il n’y avait pas de renommée plus solidement établie. Il se pourrait que lui-même n’eût point partagé l’illusion générale. Une voix lui disait, semble-t-il, que sa gloire était surfaite, et cette voix n’était autre, sans doute, que celle de la conscience. Les hommes dont le talent s’est développé par le travail, qui, ayant essayé de plus d’un sentier, ont eu l’occasion de rencontrer leurs limites, sont ceux qui se connaissent le mieux. Il était donc modeste ; mais on ne crut pas à sa modestie, et quand la critique entreprit de soumettre sa réputation première à une révision rigoureuse, on lui fit un grief de sa modestie comme d’un déguisement de vanité. La réaction fut complète. À peine M. Sainte-Beuve avait-il émis quelques doutes, que personne ne voulut avoir