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qualités d’esprit de vingt, trente ou même cent particuliers, s’appelassent-ils Racine, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand ?

Telle est l’objection qu’a soulevée et que soulève encore la prétention de M. Sainte-Beuve à être le naturaliste des esprits, prétention dont on voit de bonne heure des traces dans ses écrits, mais qu’il n’a hautement déclarée qu’assez tard. Que l’objection soit fondée ou non, il est probable que pour la majorité des lecteurs l’œuvre de M. Sainte-Beuve ne sera pas celle d’un naturaliste. Tous les hommes qui regardent autour d’eux ou seulement en eux-mêmes, acquièrent avec les années un certain fonds d’expérience et d’observation, précieux sans doute, mais qui n’est pas à proprement parler de la science, parce qu’il y manque l’enchaînement et la classification. En vivant, on apprend à connaître les hommes, utile savoir, sagesse indispensable, qui profite nécessairement de la lecture et de l’étude, comme de tout ce qui étend le cercle de notre horizon. Or, le premier mérite de M. Sainte-Beuve restera toujours, aux yeux de la plupart de ses lecteurs, d’avoir contribué plus qu’un autre à enrichir ce fonds de sagesse pratique. Aucun des écrivains et biographes modernes ne nous a fait voir le jeu de la vie humaine diversifié dans un plus grand nombre de types. Il n’est pas difficile de montrer son esprit en parlant du prochain ; mais il est plus difficile et plus