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n’est peut-être pas sans raison qu’il s’est appelé le naturaliste des esprits. Mais à ce mot se posent aussitôt des questions qu’il vaudrait la peine d’examiner sérieusement, et que je ne puis qu’effleurer. Y a-t-il lieu à cette fonction de naturaliste des esprits ? Peut-on réellement appliquer aux individualités humaines les méthodes descriptives de la science, et à supposer qu’on le puisse, M. Sainte-Beuve y at-il réussi ?

Je soupçonne que la prétention de M. Sainte-Beuve a quelquefois étonné et a pu faire sourire. On envisage les sciences naturelles comme essentiellement occupées à nommer et à définir des espèces, et quelles espèces M. Sainte-Beuve a-t-il nommées ou définies ? il a dépeint des individualités ; il n’est pas sorti des accidents, de ce qui est accessoire et éternellement variable. Passe encore si dans chaque cas particulier il avait pu remonter quelques générations en arrière et démêler l’obscure formation des talents dont il étudiait les aptitudes, ou bien s’il lui avait été possible de comparer fréquemment le tour d’esprit de ses héros avec la forme de leur crâne, l’ampleur et la complexion de leur cerveau. Voilà qui aurait pu fournir aux savants des lumières utiles et les mettre sur le chemin de quelque découverte ; mais que leur importe que l’on étudie avec amour et que l’on apprécie avec finesse les