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soir du combat, l’heureux lieutenant faisait hommage au jeune et fougueux vainqueur. Cette visée polémique se retrouve dans la plupart des premiers écrits en prose de M. Sainte-Beuve. Poëte, il se sert de la critique pour s’ouvrir un chemin, à lui et aux siens. Il combat sous les drapeaux de Victor Hugo plutôt que sous ses ordres, en auxiliaire plutôt qu’en vassal, mais enfin il combat ; sa critique n’est point un jeu d’esprit, un simple passe-temps d’escrime érudite et poétique, c’est de la critique militante, et nous sommes sur un champ de bataille, où il y a des blessés et des morts.

Quelques années s’écoulent, et c’est à peine si l’on reconnaît M. Sainte-Beuve. À Joseph Delorme ont succédé les Consolations ; au Tableau de la poésie française, des articles de journaux et de nombreux Portraits littéraires. En poésie, M. Sainte-Beuve ne demande qu’un coin tranquille, propice à la rêverie, cher à l’amitié ; en prose, sa pensée travaille et court le monde, ne sachant où se poser. Un moment on peut croire qu’il va devenir saint-simonien, tant il parle avec emphase de la grande idée humanitaire ; puis tout aussitôt il se laisse prendre à demi par le catholicisme flamboyant de Lamennais, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des retours en plein Diderot, et cependant, au travers de ces métamorphoses, se continue la veine discrète de poésie :