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pensées de pascal

rance, ouvre enfin les yeux au réel, et s’éveille entre deux abîmes. »[1] En savons-nous beaucoup plus aujourd’hui ? N’y a-t-il plus lieu à s’étonner ? Notre ignorance est-elle moins prodigieuse ? Les deux abîmes ne sont-ils plus là ?… Ils y sont encore, et plus on les sonde, plus ils paraissent insondables. La science a eu beau multiplier ses découvertes, il s’en est fait beaucoup moins qu’il n’a surgi de problèmes. Le savoir humain s’est enrichi ; l’horizon de mystères qui l’enveloppe a reculé sans doute ; mais pour lui, reculer c’est grandir. On dirait une série de sphères concentriques. L’homme part de leur centre commun ; après avoir pris possession de la première, il se trouve en face d’une seconde cent fois plus grande, puis d’une troisième mille fois plus grande, et ainsi de suite, jusqu’à l’infini. La science, aussi bien que l’imagination, se lassera de découvrir longtemps avant que la nature se lasse de fournir.

Si nous ne sommes pas beaucoup plus savants, sommes-nous au moins plus heureux ? Avons-nous moins peur de rentrer en nous-mêmes ? Sommes-nous moins avides de divertissements ? Notre vie est-elle moins encombrée de tracas, de plaisirs et d’affaires ? Redoutons-nous moins la solitude, ce tête-à-tête avec soi-même que Dieu lui seul peut affronter sans crainte ? Mais à quoi bon multiplier

  1. Michelet, l’Insecte, p. 91.