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triste célébrité. S’il en était seul coupable, ce serait un crime qui ne compromettrait que sa gloire et dont seul aussi il aurait à rendre compte devant le tribunal de l’histoire et devant le tribunal de Dieu. Mais le sang de Servet retombe sur toute l’Europe protestante. Il retombe sur les églises de Suisse, qui, par leurs unanimes conseils, stimulèrent à l’envi l’ardeur des juges ; il retombe sur les chefs les plus éminents de la Réforme, qui accueillirent par leurs félicitations unanimes la sentence de mort. Il retombe sur Mélanchton lui-même ; sur le doux et aimable Mélanchton :

J’affirme, écrivait-il à Calvin, j’affirme que vos magistrats ont agi justement en mettant à mort un tel blasphémateur, après un procès régulier.

Je ne conçois pas, je l’avoue, comme l’on peut passer légèrement sur ce drame lugubre, et se borner à dire, comme le font tant d’historiens réformés : « C’est une tache dans la vie de Calvin ; mais c’était l’esprit du temps. » L’esprit du temps ! Mais les réformateurs, qui s’étaient abreuvés aux sources pures de l’Evangile, qui avaient rompu courageusement avec le passé, pourquoi donc ne s’étaient-ils pas dégagés de l’esprit du temps ? Qu’on ait vu jusqu’au milieu du siècle passé quelques moines fanatiques ou quelques prélats intéressés attiser la flamme des bûchers, cela n’a rien d’étonnant ; mais des réformateurs !… Calvin, qui fait brûler Servet ;