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extrêmes. Hélas ! c’est le sort commun des hommes de génie ; ils paient par de grands défauts leurs plus grandes qualités : tantôt, comme Montaigne, ils n’ont l’esprit large et ouvert à tout qu’à condition de vaciller sans cesse ; tantôt, comme Calvin, ils ne sont fermes qu’à condition d’être étroits.

Calvin fut si convaincu de la vérité de sa doctrine, qu’il ne comprit jamais les oppositions qu’il rencontra. Il n’imaginait pas qu’on pût demander quelque chose de plus clair pour l’intelligence, ni de plus satisfaisant pour le cœur. Il en aurait dit volontiers ce qu’on a dit de la République française : « Elle est comme le soleil, tant pis pour les aveugles qui ne la veulent pas voir. » Il croyait de bonne foi tenir dans ses mains la vérité absolue, et il la trouvait si évidente qu’il était prompt à chercher le motif de toute opposition dans quelque mauvais vouloir ou dans quelque penchant vicieux. Il savait que l’erreur est proche parente du péché, et, comme ses adversaires étaient à ses yeux plongés dans les ténèbres de l’erreur, il les supposait aussitôt enchaînés dans les liens du vice. Calvin ne connut pas le doute pour son propre compte, et ne le comprit jamais chez les autres. Voilà le point faible de ce grand esprit. Le doute, cet heureux contrepoids des convictions trop entières, lui manqua complètement. La faute n’en est pas à l’esprit de son époque ; mais bien à la nature de son génie, à lui et à lui seul.