Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fréquence croissante des emprunts des villes et des princes avaient habitué peu à peu les esprits à trouver de plus en plus naturels et de moins en moins illégitimes, soit un procédé qui rendait ainsi de réels services, soit un phénomène qui se représentait à chaque instant sous les yeux. Or, là encore — je veux dire en matière de prêt d’argent — les réformateurs allemands n’ont ni devancé leur siècle, ni innové[1]. Luther est un adversaire du prêt à intérêt, et il va jusqu’à condamner la rente, au moins dans les cas où elle tend à se transformer en rente-volante[2], bien que dans d’autres endroits, il faut aussi le dire, il se montre tolérant et facile pour les emprunts dont le taux peu élevé n’aurait rien d’usuraire en notre sens moderne de ce dernier mot. En tout cas Mélanchthon, quoiqu’il admette la rente et les titres extrinsèques, demeure volontiers intransigeant sur le principe.

Calvin est plus intéressant et plus neuf. Dans ses Institutions, il introduit la distinction toute nouvelle du crédit à la consommation, qu’il veut gratuit, et du crédit à la production, qu’il accepte de voir intéressé. Dans le texte le plus caractéristique qu’il ait laissé sur cette matière, il distingue compendieusement un nombre assez complexe de

  1. Étudier sur ce point Ashley, Histoire et doctrines économiques de l’Angleterre, sect. LXXV, tr. fr., t. II, pp. 540 et s.
  2. Sur cette transformation au XVIe siècle, voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édition, p. 473. — On entendait alors par rente volants une rente perpétuelle non assignée sur un fonds. Il avait paru, en effet, tout naturel que le propriétaire d’un fonds put le bailler à rente, c’est-à-dire en aliéner le domaine utile sous, réserve d’une rente que le preneur dût lui servir en contrepartie de la jouissance et des fruits du fonds : mais était-il possible que cette rente fût assignée sur un fonds que le débi-rentier n’acquérait pas du bailleur, c’est-à-dire qu’elle fût hypothéquée (supra, p. 65 en note) ? Surtout était-il possible qu’elle ne fût assignée sur aucun fonds ? Sous ce dernier aspect, c’est notre rente constituée ou perpétuelle, exempte de toute réalité de droit, transmissible activement et passivement aux héritière et contre eux, mais à eux seulement et contre eux seulement. Voilà, pour la fin du moyen âge et encore pour le XVIe siècle, le problème des rentes volantes. La rente foncière constituait un census realis pour les canonistes du XVe siècle et elle était permise ; la rente volante était un census personalis et elle était défendue. Cependant dès 1452 Nicolas II l’avait permise pour les royaumes de Sicile et d’Aragon (voyez Ashley, op. cit., sect. LXXIV).