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l’usage des siens, mais le talent n’est point une fonction. Il en est de même de la propriété — ou plutôt de la richesse, si nous ne nous attachons pas à parler le langage juridiquement inexact que les philosophes chrétiens emploient à tort sur la propriété. — Aussi bien l’Évangile, les Pères de l’Église, les scolastiques et les derniers documents pontificaux ont-ils enseigné le devoir d’un usage chrétien et charitable des richesses : cependant nulle part n’était apparue, par confusion entre les deux notions de fonction et de faculté, cette idée que la propriété soit une fonction. Au contraire l’aptitude à être propriétaire était regardée comme de droit naturel et comme logiquement antérieure à la société elle-même.

Parfois aussi c’était à la possession du capital que l’on s’en prenait, par des appels à une confiscation plus ou moins directe. Il a été écrit par exemple que « l’extrême richesse est mauvaise et que, fût-elle légalement acquise, la société aurait encore le droit de s’affranchir et de sévir contre elle » ; puis, comme « il faut tomber d’accord sur quelques réformes radicales (car les demi-mesures ne sauveront pas) », il est nécessaire ; de « poursuivre la ploutocratie jusque dans sa source.., en assignant même un maximum à la fortune individuelle, par le moyen de l’impôt progressif, etc. C’est avec de pareilles réformes — est-il ajouté — que les candidats catholiques devront se présenter devant le peuple[1]. » Or, dans le domaine de la pratique, les envies égalitaires et démocratiques travailleront avec succès à élargir ces portes que l’on ouvre aux confiscations discrétionnaires ; mais déjà, dans le domaine

  1. M. le chanoine Élie Blanc, Études sociales, Lyon, 1897, pp. 330 et 337. — Le conventionnel Rabaut-Saint-Etienne disait pareillement dans les Révolutions de Paris, n° du 19 janvier 1793 : « Le législateur devra marcher à son but par des institutions morales et par des lois précises sur la quantité de richesses que les citoyens peuvent posséder, ou par des lois qui en règlent l’usage, de manière : 1° à rendre le superflu inutile à celui qui le possède ; 2° à le faire tourner à l’avantage de celui qui en manque ; 3° à le faire tourner au profit de la société » (Voyez plus haut, p. 642). On aimerait à voir nettement où est la différence.