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II. — La nationalisation du sol fondée sur la théorie de la rente.

Cette thèse, qui se base sur les déductions économiques de Ricardo, a tenu une place beaucoup plus considérable que la précédente. Une telle faveur se comprend : l’idée, en effet, est assez simple en elle-même et elle offre l’avantage de reposer sur une démonstration qui, supposée irréfutable, est due à une des plus hautes sommités de l’école dite orthodoxe et classique. S’il est vrai, en effet, que les denrées alimentaires renchérissent et que le revenu des propriétaires fonciers augmente fatalement par l’augmentation de la population ou plus généralement par le progrès économique et industriel, n’y a-t-il pas là une monstruosité qui appelle un remède, ce remède dût-il être la nationalisation de la terre ?

James Mill, le premier, proposa que les accroissements de la rente foncière fussent dévolus en entier à l’État. Prendre, à titre d’impôt, la totalité des tranches ultérieures de revenu, lui paraissait au moins aussi juste que de prendre une partie des tranches précédentes de ce même revenu[1]. Stuart Mill, en fondant sa Landnationalization society[2], ne faisait donc que suivre les traces de son père. Toutefois, il faut bien retenir que les deux Mill parlaient seulement d’attribuer à l’État la rente future, en laissant

  1. « Il est certain, dit James Mill, que, à mesure que la population augmente et que le capital est appliqué à la terre d’une manière de moins en moins productive, une portion de plus en plus grande du produit net des terres d’un pays entre dans ce qui constitue la rente foncière, tandis que les profits du capital décroissent proportionnellement. Cette augmentation continuelle de la rente foncière, provenant de circonstances qui sont le fait de la communauté et non le fait particulier des propriétaires, semble former un fonds non moins propre à être appliqué d’une manière spéciale aux besoins de l’État, que le revenu de la terre dans un pays où elle n’a jamais été propriété privée. Lorsque la rente primitive du propriétaire foncier est garantie contre toute charge particulière, il n’a pas le droit de se plaindre de ce qu’une nouvelle source de revenu, qui ne lui coûte rien, soit appropriée au service de l’État » (James Mill, Éléments d’économie politique, trad. franç, de 1823, ch. iv, sect. v, « De la taxe sur les rentes foncières »).
  2. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., p. 496 et ici plus haut, Histoire des doctrines économiques, p. 721.