Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/746

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

socialisme, au lieu d’être deux puissances inconciliables, comme on se l’imagine d’ordinaire, ont le même idéal de fraternité et d’égalité, puisque l’un et l’autre veulent une jouissance de la terre commune entre tous les hommes[1]. Huet considère comme essentielle la distinction qu’il introduit entre les biens patrimoniaux et les biens acquis, c’est-à-dire les produits du travail personnel de leur propriétaire actuel. Ce propriétaire pourra disposer de ces derniers par donation ou testament : mais l’héritier où donataire qui les recueillera ne les aura plus alors que comme « biens patrimoniaux », et le droit d’en disposer ne lui sera pas reconnu. Chaque année on répartira les biens devenus vacants, à raison d’un tiers à partager entre les individus qui atteindront cette année là leur quatorzième année, et deux tiers pour ceux qui atteindront leur vingt-cinquième[2]. Là, du reste, n’est pas la grande originalité de Huet ; nous le retrouverons tout à l’heure à propos de socialisme chrétien[3].

Nous devons citer dans ce même groupe Agathon de Potter (1786-1859) et Émile de Laveleye. Dans son livre la Propriété et ses formes primitives, M. de Laveleye préconise le retour aux anciennes communautés de village, et spécialement au régime de l’Allmend, qui s’est conservé dans certains cantons de la Suisse pour la jouissance des terres et des pâturages de montagne[4].

Spencer, dans son traité de Social Statics, a fourni des arguments à ces formes de socialisme agraire.

  1. En sens contraire, Léon XIII dans l’Encyclique Rerum novarum : « Qu’on n’oppose pas à la légitimité de la propriété privée le fait que Dieu a donné la terre en jouissance au genre humain tout entier, car Dieu ne l’a pas livrée aux hommes pour qu’ils la dominassent confusément tous ensemble. Tel n’est point le sens de cette vérité. Elle signifie que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier, mais a voulu abandonner la délimitation des propriétés à l’industrie humaine et aux institutions des peuples. »
  2. Huet, Règne social du christianisme, 1. III, ch. vi et vii.
  3. Infra, pp. 765 et s.
  4. Voyez pour Laveleye et les Allmenden la discussion dans le Collectivisme de P. Leroy-Beaulieu, ch. ix, 3e édit., pp. 126 et s.