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tervenir pour lever cet obstacle (c’est-à-dire pour abolir la propriété) et pour permettre à tous de participer à la richesse et à la prospérité publiques ». En d’autres termes, celui qui naît dans une société déjà riche, au milieu de propriétés déjà constituées, dans un monde où nul espace de terre ne reste plus à prendre, n’a-t’il pas le droit de se faire donner une part de propriété, puisqu’il ne peut plus s’en créer une, comme on l’avait fait avant lui ?

Non, faut-il répondre ; car « un homme, par le fait qu’il naît au sein d’une société civilisée et prospère, n’apporte avec lui, en naissant, aucun droit absolu différent de ceux de l’homme qui naît au sein d’une société pauvre et barbare[1] ». Or, une société pauvre et barbare, n’ayant rien pour ainsi dire, ne saurait être tenue de donner quoi que ce soit au nouvel arrivé : c’est à lui à se faire ce qu’il aura et à avoir ce qu’il aura fait. En fait, du reste, cet homme qui naît au sein d’une société civilisée et prospère, à la seule condition d’exercer ses facultés individuelles, jouira bien de la communauté des inventions précédentes et de la diminution de l’utilité onéreuse de toutes choses selon la formule de Bastiat[2]. Donc, à cet homme comme à tous, la société ou l’État ne doit qu’une chose : la protection dans l’exercice juste et raisonnable de ses facultés quelconques, économiques ou autres, lorsque l’individu les emploie pour atteindre ses fins naturelles ou surnaturelles.

Il n’y a pas non plus dans le monde, dirons-nous encore, l’antagonisme fatal que Louis Blanc voulait voir entre le capital et le travail, entre la propriété des uns et la satisfaction des besoins de tous. Louis Blanc méconnaissait, sur ces points là, l’ordre providentiel des sociétés, sur lequel l’économie libérale avait jeté cependant de si vives lumières. Yves Guyot a eu tort, sans doute, de prêcher la

  1. Castelein, op. cit., p. 213.
  2. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., pp. 75 et 139, et supra, Histoire des doctrines économiques, p. 416.