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violation de la dignité et de la liberté personnelles, la compression forcée des initiatives et des aptitudes, enfin, l’abaissement moyen et général du niveau de l’humanité. Dans l’ordre économique on aurait, grâce à la suppression du stimulant de la nécessité individuelle, une productivité moins intense et partant une moindre somme totale de biens, de telle sorte que l’égalité ne serait obtenue que par la communauté dans la misère[1].

Or, de ce qu’un être physique ou moral est essentiellement impropre à accomplir une mission, on peut déjà conclure que ni la nature, ni la Providence ne la lui ont assignée.

En second lieu et en principe, c’est pour une destinée individuelle que l’individu est créé, destinée individuelle qu’il atteint dans ce monde par l’exercice propre de ses facultés et dans l’autre par la sanction individuelle qui lui est réservée. L’État n’est et ne peut être qu’un des moyens pour aider l’individu à accomplir cette destinée ; et il n’est pas même le moyen unique : ce n’est même aucunement pour le second de ces buts qu’il a été institué. Or, puisque l’individu, en exerçant ses facultés sous sa responsabilité propre et avec la jouissance de sa liberté, peut mieux atteindre sa fin au point de vue économique et dans l’ordre des subsistances à obtenir, il y a là une preuve que l’État et la société, qui ne seraient appelés qu’en qualité de moyens, ne peuvent avoir le droit de s’imposer, ni en cette qualité, ni en aucune autre.

On insiste cependant, et l’on demande « si, dans les cas où par l’effet du régime social la richesse de l’un empêche la richesse de l’autre[2], le pouvoir social ne peut pas in-

  1. Castelein, op. cit., pp. 497 et s. (sect. II, ch. xii). — Voyez l’Encyclique Rerum novarum ou De conditione opificum, où Léon XIII parle précisément des « richesses taries dans leur source et de l’égalité dans le dénument, l’indigence et la misère ».
  2. C’était déjà l’idée sous-entendue de Robespierre, affirmant dans son projet de Déclaration des droits de l’homme (21 avril 1793) que « la propriété des uns ne doit préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété des autres » (art. 9 du projet).