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Seulement le comte Claude-Henri de Saint-Simon — « le dernier des gentilshommes et le premier des socialistes », comme a dit Michelet — ne se douta jamais de son vivant du rôle de Messie qu’on devait lui faire jouer après sa mort[1].

Petit-neveu du duc de Saint-Simon l’auteur des Mémoires, et descendant prétendu de Charlemagne par les comtes de Vermandois, Saint-Simon était né à Paris en 1760. Capitaine dans la guerre de l’Indépendance, où il suivit Lafayette, puis colonel à vingt-deux ans, il se mit pendant la Révolution à spéculer sur les biens nationaux, avec un nommé de Rédern, qui lui laissa 150.000 francs de bénéfice et que Saint-Simon ne cessa pas d’accuser de s’être fait la part du lion. Saint-Simon — marié sous le Directoire avec Sophie de Goury-Chamgrand, veuve de Jules de Rohan, dont il divorce en 1801 — gaspille cette fortune en voyageant un peu partout ; et c’est dans ces voyages qu’il élabore dans son cerveau son plan d’une, réorganisation intellectuelle qui aurait ramené à une théorie commune toutes les sciences religieuses, morales, politiques et naturelles.

Il débute comme écrivain par sa Lettre d’un habitant de Genève à ses contemporains[2]. C’est sa première esquisse de réforme sociale. Saint-Simon y développe cette idée dominante, que la direction de la société doit appartenir aux plus capables, et il propose de partager la société en trois classes : 1° les savants et les artistes ; 2° les propriétaires ; 3° les non-propriétaires. Ensuite l’Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siècle[3], réponse à un

  1. Reybaud, Saint-Simon et les saint-simoniens, écrit en 1835 (voyez Études sur les réformateurs et socialistes modernes, t. I, ch. ii) ; — Ferraz, Histoire de la philosophie au XIXe siècle ; — Anton Menger, Droit au produit intégral du travail, ch. vi, tr. fr., pp. 89 et s., etc., etc. ; — Vilfredo Pareto, les Systèmes socialistes, t. II, pp. 188 et s. ; — et particulièrement Isambert, les Idées socialistes en France de 1815 à 1848, 1905, Ire partie, ch. ii, et IIe partie, ch. ii.
  2. Genève, 1802.
  3. Deux volumes, 1808.