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Après tant de ruines que la Révolution avait faites, il restait dans nos lois au moins un de nos vieux principes sociaux : celui-là n’en avait été jamais rayé, et c’était autour de lui que l’édifice du Code civil allait être élevé. Les législateurs du Consulat eurent le sentiment de la force que ce principe possédait et qu’il ne puisait pas cependant dans un pacte facultatif. Ils le proclamèrent en toute franchise. « Le principe du droit de propriété est en nous, disait Tronchet au Corps législatif en 1803 : il n’est point le résultat d’une convention humaine ou d’une loi positive. Il est dans la constitution même de-notre être et dans les différentes relations avec les objets qui nous entourent. » C’était, comme le dit justement Lichtenberger, « rompre avec la tradition de la plupart des philosophes du XVIIIe siècle et reprendre la théorie des physiocrates et d’Adam Smith[1] ».

— En Angleterre, pour cette période de la fin du XVIIIe siècle, c’était Godwin (1756-1836) qui avait le mieux représenté les aspirations socialistes, et non sans leur donner un aspect scientifique[2]. Pour lui, les biens peuvent être attribués selon trois principes différents : 1° à celui qui en retirera le plus de jouissance, c’est-à-dire qui en a besoin au degré le plus impérieux ; 2° à celui qui les a obtenus par son travail ; 3° à celui que le régime légal établi a investi de la faculté d’en disposer, quoique produits par le travail des autres. Il s’agit de supprimer ce dernier procédé, puisque le droit patrimonial l’a mis partout en vigueur. Godwin cependant, pour faire disparaître l’injustice des revenus sans travail, ne concluait pas au communisme : il aurait suffi que, sans coercition de l’État et même avec dissolution des gouvernements et maintien d’une simple administration paroissiale, les riches fussent prêts à toujours abandonner cette quotité de leurs biens

  1. Lichtenberger, Socialisme utopique, p. 166.
  2. Sur Godwin, dont nous avons parlé ailleurs (supra, p. 295), voyez Anton Menger, Droit au produit intégral du travail, ch. iii, tr. fr., pp. 58 et s. ; — Denis, Histoire des systèmes économiques et socialistes, t. II, pp. 6-31.