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spécial que les socialistes y attachent à la suite de Sismondi, de Louis Blanc[1], etc., et après avoir constaté que le vol est devenu le vœu général, Helvétius conclut à la nécessité de multiplier le nombre des propriétaires, de faire un nouveau partage des terres et de supprimer la monnaie, laquelle « facilite l’inégalité de la fortune ». — « Il n’est dans la plupart des royaumes, dit-il, que deux classes de citoyens : l’une qui manque de nécessaire, l’autre qui regorge de superflu, La première ne peut pourvoir à ses besoins que par un travail excessif, qui est un mal physique pour tous et un supplice pour quelques-uns ; la seconde vit dans l’abondance, mais dans les angoisses de l’ennui. Que faire pour ramener le bonheur ? Diminuer la richesse des uns, augmenter celle des autres ; procurer à chacun quelque propriété ; mettre le pauvre dans un état d’aisance qui ne lui rende nécessaire qu’un travail de sept ou huit heures ; donner à tous l’éducation. »

D’autres écrivains, sans élaborer de système, fomentaient les convoitises. De ce nombre sont Necker, dont nous avons cité déjà quelques malsaines excitations dans sa Législation et commerce des grains (1775), et surtout l’avocat Linguet, auteur de la Théorie des lois civiles (1767), où il décrit d’un ton haineux les conditions

  1. D’où vient le mot « prolétaire » ? Généralement on répond aveuglément qu’il vient du latin proles (descendance ou postérité), parce que les prolétaires sont ceux qui n’ont que leurs enfants pour tout bien et parce qu’ils en ont beaucoup. Mais la division des peuples en centuries et en classes par Servius Tullius reconnaissait déjà les proletarii comme dernière classe, et la loi des XII Tables disait aussi : Proletario cui quis volet, vindex esto. Or, en ces temps là, le phénomène d’une natalité légèrement supérieure dans les classes vouées aux travaux manuels ne pouvait pas avoir été remarqué : il ne pouvait pas même se présenter, tellement rude était la vie de toutes ces anciennes populations, y compris les assidui ou les riches (de assem dare). Donc, il est bien certain que le nombre moyen des enfants n’était point le critérium de la distinction entre les assidui et les proletarii. Il faut rattacher ce mot à quelque vieux radical ol, étrusque, osque ou latin, qui nous a donné abolere et d’autres mots encore. — Qu’on nous pardonne cette digression : l’erreur était trop universelle pour ne pas valoir la peine d’être contredite. — Voyez Sismondi, supra, p. 355.