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D’un autre côté, la propriété, bien qu’on la suppose fondée sur l’occupation et le travail, ne sera légitime que dans les limites où elle n’empiétera pas, au profit des uns, sur ce qui est nécessaire aux autres[1].

Enfin l’omnipotence de l’État sera renforcée par l’interdiction de toute association particulière ou tout au moins par un système d’équilibre mutuel, qui, s’il existe des, associations, les neutralisera les unes par les autres[2]. C’était pousser l’individualisme jusqu’à ses dernières limites ; c’était nier la sociabilité naturelle de l’homme ou se révolter contre elle : c’était enfin, au point de vue économique, annihiler ou tout au moins réduire d’une manière arbitraire les forces productives de l’individu, qui, isolé, ne peut presque rien et qui peut beaucoup quand il s’associe. On sait comment la Révolution s’inspira sur ce point là des idées de Rousseau, que ne démentaient point, il est vrai, les formulés de Quesnay[3]. La loi du 14 juin 1791, défendant les associations professionnelles, et celle du 20 germinal an II, interdisant toutes sociétés par actions, en sont des preuves empruntées précisément à l’ordre économique.

Eh bien, ici encore, tout est sophisme.

Dans le domaine des faits, l’histoire ne présente aucune trace de pacte social.

Dans le domaine de la logique et du bon sens, il est aisé de constater : 1° que l’absolutisme d’un pouvoir qui est issu de la volonté de la majorité et non pas de la volonté de tous, contredit la liberté naturelle et essentielle de la

  1. « L’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose et qu’aucun d’eux n’a rien de trop » (Contrat social, 1. I, ch. ix). — C’était exactement sous cette même condition que Schmoller permettait de parler de la propriété comme d’un régime conforme à la nature humaine (voyez supra, p. 579).
  2. « Il importe, pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société particulière dans l’État, et que le citoyen n’opine que d’après lui S’il y a des sociétés partielles, il faut en multiplier le nombre et en prévenir l’inégalité » (Contrat social, 1. II, ch. v).
  3. Voyez plus haut, pp. 204 et s.