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sous forme de propriété. Morelly répond à cette objection en affirmant la bonté native de l’homme lorsque celui-ci reste étranger aux institutions vicieuses et compressives qui le rendent pervers. Les mauvais penchants artificiels de l’humanité se ramènent tous à l’avarice[1] : on la supprimerait — et tous les vices avec elle — si l’on rendait impossible la propriété, création arbitraire et factice des moralistes et des législateurs. « Là où il n’existerait aucune propriété, dit Morelly, il ne pourrait exister aucune de ses pernicieuses conséquences. » Sa thèse implique en même temps la réhabilitation générale des passions.

Dans une autre division du livre (ou plutôt dans sa quatrième partie), Morelly a présenté le « Code de la nature », en 117 articles répartis en douze lois. De ces lois, la première ou « loi fondamentale » édicté : 1° le communisme absolu des biens (sauf l’usage quotidien des choses dans la limite des besoins de l’individu) ; 2° le droit de chaque citoyen à être nourri, entretenu et occupé aux frais de la communauté ; et 3° l’obligation de chacun de contribuer à l’utilité publique selon ses forces. Viennent ensuite les lois « distributives ou économiques », instituant la gratuité des échanges dans les magasins publics ; puis l’obligation du mariage, avec divorce, facultatif seulement, après dix ans de vie commune ; l’éducation en commun des enfants à partir de l’âge de cinq ans, etc. Le « Code de la nature » a servi de cadre à tous les rêveurs de sociétés du commencement du XIXe siècle, notamment à Fourier et à Cabet : ils ont complété, modifié, perfectionné, plutôt qu’innové de fond en comble.

L’année même où paraissait le Code de la nature (1755), J.-J. Rousseau faisait imprimer à Amsterdam son Discours

  1. Est-ce la formule de saint Paul : « Radix omnium malorum est cupiditas » (I ad Timotheum, vi, 10) ? Mais les moralistes chrétiens, s’ils imposent la résistance aux passions, ne se flattent pas de rendre cette résistance inutile par la transformation radicale de la nature humaine et des milieux sociaux ; de plus, cupiditas peut bien être pris simplement pour synonyme d’égoïsme.