Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/634

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tude de considérer la propriété comme une simple création des lois civiles[1]. »

Déjà dans les Lettres persanes, l’apologue des Troglodytes faisait entrevoir, le bonheur parfait dans l’égalité absolue poussée jusqu’au communisme[2] ; Dans l’Esprit des Lois, qui date de 1748, tout concourt à faire accepter la nécessité d’une limitation des fortunes, à faire désirer leur égalité approximative et à présenter la propriété et l’hérédité comme des institutions issues, non pas du droit naturel, mais seulement des lois arbitraires des hommes. Il n’y aura rien de révolutionnaire dans les procédés qui assureront ce régime, mais il y a beaucoup de socialisme dans le but à atteindre[3].

Rousseau est au contraire un déclamateur et un violent, qui ne recule pas à l’occasion devant les formules extrêmes. Mais à ce point de vue il eut presque un devancier dans Morelly, que nous ayons nommé déjà pour sa Basiliade.

Morelly fit paraître en 1755, sans nom d’auteur, un Code de la nature, qu’une foule de critiques et Babeuf lui-même ont attribué à Diderot.

L’ouvrage a deux parties bien différentes. Dans les trois premiers livres, Morelly y répète sous une forme dogmatique les idées de Morus et de Campanella, en se contentant de discuter de plus près la base morale et philosophique du système. La grande objection — on le sait — c’est que l’homme, étant naturellement égoïste, deviendra nécessairement paresseux avec tout régime qui ne sera pas basé sur la perspective du gain individuel acquis et conservé

  1. Lichtenberger, le Socialisme au XVIIIe siècle, pp. 84-85, 90. — Dans le Dictionnaire d’économie politique de MM. Say et Joseph Chailley, M. Fernand Faure s’évertue à disculper Montesquieu du reproche de socialisme. Il est regrettable qu’il n’en donne pas d’arguments. Nous le renvoyons à l’étude que M. Lichtenberger a faite sur ce point.
  2. Lettres XI-XIV.
  3. L’espace nous manque pour reproduire les preuves innombrables que l’on peut donner à l’appui de cette opinion sur Montesquieu.