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être momentanément nécessaire, en formant une heureuse transition vers un état social où plus de liberté se serait alliée à une ascension régulière vers le progrès économique et la civilisation. Mais il est difficile de voir là un idéal permanent pu de croire que cet état, artificiel en quelque sorte, fût susceptible d’une bien longue durée[1]. En tout cas, il est curieux aujourd’hui d’observer les jugements que les socialistes émettent sur les « réductions », partagés qu’ils sont entre le besoin de louer tout régime de communauté et le désir non moins ardent de dénigrer tout ce qui porte une empreinte religieuse[2].

Signalons enfin, pour terminer le trop rapide aperçu des romans utopiques et socialistes, l’Histoire des Galligènes, de Tiphaigne de la Roche[3], et la Basiliade de Morelly, poème en prose d’un cynisme éhonté[4]. Nous

    nouvelles » (Op. cit., éd. de 1780, t. II, p. 289). — Voyez toutes les autres autorités citées par Vilfredo Pareto, dans ses Systèmes socialistes, 1902 (t. I, pp. 194,197,198). La suppression des Jésuites par Aranda en 1767 eut « pour conséquence, dit-il, la ruine des reducciones : les malheureux Indiens furent pillés, dispersés, détruits ; un grand nombre mourut de faim et de privations.» Le désert reconquit toute la contrée.

  1. Pourrait-on appliquer ici quelque chose de ce jugement peu suspect qu’un Jésuite, le R. P . Castelein, porte sur le « bon sauvage » de Rousseau ? « Il est faux de dire que l’évolution spontanée des facultés et des besoins de l’homme, en entraînant la différenciation des qualités individuelles et les relations sociales, soit un pas vers la décrépitude de l’espèce. C’est là essentiellement un principe de progrès : ce n’est qu’accidentellement une occasion de fautes et de malheurs. Cette différenciation, qui accentue de plus en plus les inégalités naturelles, tant entre les hommes qu’entre les peuples, est l’effet d’un progrès légitime » (R. P . Castelein, Socialisme et droit de propriété, pp. 155-156).
  2. À voir en ce sens Lafargue, Die Niederlassungender Jesuiten in Paraguay, publiées dans la Geschichte des Socialismus in Einzelndarstellungen, 1895, t. I, pp. 719 et s. ; — Vilfredo Pareto, les Systèmes socialistes, 1902, 1.1, pp. 193 et s. — M. Vilfredo Pareto pense cependant que, dans cette destruction de 1768 et années suivantes, le « bien-être de la race humaine » peut bien avoir été « obtenu par l’élimination des éléments de qualité inférieure. L’expulsion des Jésuites et la destruction, qui en a été la conséquence, des reducciones, peuvent avoir été utiles : car elles ont peut-être contribué à détruire une race inférieure pour la remplacer par une race supérieure, c’est-à-dire par des Européens » (Op. cit., p. 198). C’est cynique.
  3. Analyse dans le Socialisme utopique de M. Lichtenberger, 1898, ch. iii.
  4. Publié en 1753 sous le nom de Naufrage des îles flottantes, ou Basiliade du célèbre Pilpaï, traduit de l’indien par X...