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concitoyens, lui semble-t-il, ne sont pas assez vertueux pour s’élever jusque là. Le système des Lois consiste dans la division du sol en lots égaux, inaliénables, indivisibles, et ne pouvant pas être réunis dans la même main. Cela ressemble beaucoup à ce que l’on appelle aujourd’hui le « morcellisme ». La limitation légale du nombre des naissances, puis la colonisation empêcheront qu’il n’y ait trop de citoyens ; les adoptions de famille à famille nivelleront les inégalités et garantiront le maintien intégral du κληρος (ou lot). L’inégalité dans les richesses mobilières sera prévenue par la prohibition du commerce, du prêt à intérêt, des monnaies précieuses et de l’épargne sur les récoltes ; au besoin l’État confisquera. D’ailleurs les citoyens ne posséderont que pour l’État, et il semble que celui-ci soit chargé, quoique en termes assez obscurs, de répartir les produits entre les habitants[1].

Pourquoi le génie de Platon a-t-il ainsi versé dans le communisme ? Et avec la République surtout cette chute est d’autant plus étrange que ce même dialogue renferme quelques-uns de ses plus admirables passages sur le respect et le culte de la divinité, ainsi que sur les perspectives de l’immortalité.

Platon paraît avoir été entraîné à ces aberrations par le désir de réaliser l’union et la concorde, qui ne pouvaient être assurées, selon lui, que par la communauté de tout entre tous[2]. « Le comble de la vertu politique, disait-il, consiste en ce que les lois visent de tout leur pouvoir à rendre l’État parfaitement un[3]. » Parti de ce principe, Platon a raisonné en l’air, sans observer la nature humaine et sans garder contact avec elle, par conséquent en oubliant ses passions et ses instincts, ses sentiments de pudeur et

  1. Lois, livre V.
  2. La remarque en est faite par Bodin à plusieurs endroits de sa République (voyez à cet égard Baudrillart, Bodin et son temps, p. 154). — Sur ce principe du socialisme platonicien, consultez le R. P. Castelein, Socialisme et droit de propriété, pp. 133, 136-137.
  3. Lois, livre V ; item, République, 1. V.