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par la concurrence, pour participer à leur tour à ces conditions d’existence plus favorables[1].

Il est difficile, en effet, de contester l’opposition entre les théories évolutionnistes, d’une part, et les théories égalitaires et socialistes d’une autre. Et cela, non pas seulement en ce qui concerne le struggle for life de Darwin, c’est-à-dire la concurrencé ou l’élimination des plus faibles par les plus forts, mais aussi en ce qui concerne les lois d’hérédité et de différenciation que Lamarck et Milne-Edwards ont formulées. Suivant eux, les qualités des individus s’incrustent pour ainsi dire dans leur race ; et ainsi les éléments des organismes vont se spécifiant sans réserve et sans retour. Or, s’il était vrai que les mêmes règles régissent à la fois révolution, des sociétés et l’évolution de la vie, comment le terme de l’évolution sociale serait-il une société socialiste dont tous les membres seraient égaux et semblables en facultés et en aptitudes, pour pouvoir être égaux en droits ? M. Bouglé, tout en reconnaissant que « la différenciation, l’hérédité et la concurrence sont les inflexibles gardiennes du progrès universel[2] », n’a que la ressource de présenter ces lois comme « moins

  1. Op. cit., p. 129. — « Les darwinistes et les économistes, avait dit M. de Laveleye, qui prétendent que les sociétés humaines sont régies par des lois naturelles auxquelles il faut laisser libre cours, sont les vrais et seuls adversaires logiques à la fois et du socialisme et du christianisme… On ne peut comprendre par quel étrange aveuglement les socialistes adoptent les théories darwiniennes, qui condamnent leurs revendications égalitaires, et repoussent le christianisme d’où elles sont issues et qui les légitime » (De Laveleye, le Socialisme contemporain, introduction, 10e édition, pp. xviii et xix). — Nous nous expliquerons sur ce prétendu lien entre le christianisme et le socialisme : mais, si Laveleye a raison sur l’antagonisme logique du darwinisme et du socialisme, il est difficile de se tromper plus grossièrement qu’il ne fait quand il affirme l’inconciliabilité du christianisme et d’une théorie des lois naturelles. — Otto Effertz (les Antagonismes économiques, 1906, pp. 469-470) essaie une transaction : le darwinisme, dit-il, est en opposition avec le socialisme par sa « pointe sociologique », qui est le « capitalisme » ; mais sa « pointe métaphysique » est « l’athéisme et le mortalisme », et c’est, elle qui a séduit les socialistes. L’idée est juste, si par ailleurs la forme est prétentieuse autant que bizarre.
  2. Bouglé, la Démocratie devant la science, Études critiques sur l’hérédité, la concurrence et la différenciation, 1904, p. 283.