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absolue du struggle for life, salué comme la loi suprême de la nature, ne légitime pas forcément toutes les violences et toutes les conquêtes de la foule, si cette foule a seulement l’intelligence de s’unir pour la lutte des classes ? Les masses ne comprendront jamais les illogismes d’une théorie, jusqu’au point de faire fléchir leurs passions devant eux.

Et cependant ces illogismes peuvent bien exister ! Nous croyons même que M. Otto Ammon, darwiniste et néanmoins réactionnaire convaincu, en a fait une démonstration suffisante[1].

En effet, si tout ce qui existe s’est formé progressivement et s’est naturellement adapté aux besoins (ce qui est la théorie darwinienne), comment se fait-il donc que l’ordre social soit la seule chose qui se soit formée sur de fausses bases et qui doive être reconstruite complètement à nouveau, d’après un plan délibéré et systématique (ce qui est bien la théorie socialiste)[2] ? L’argument, on le voit, ne manque pas de force. Et Ammon, dont l’œuvre originale mérite une sérieuse attention, tire du darwinisme et de l’histoire toute une série de propositions pour démontrer que les inégalités individuelles, même celles qui existent dans la jouissance des biens, sont indispensables au bien-être et au progrès de la collectivité tout entière, parce que « la formation des classes, en limitant la panmixie, favorise la production plus fréquente d’individus supérieurement doués ; parce que l’isolement des classes favorisées rend possible une éducation plus soignée de leurs enfants ; parce que la supériorité de l’alimentation et l’absence de préoccupations dans ces classes stimulent l’activité des facultés psychiques supérieures ; enfin, parce que le bien-être matériel de ces classes plus élevées excite les classes inférieures à déployer le meilleur de leurs forces

  1. Ammon, l’Ordre social et ses bases naturelles, Essai d’une anthroposociologie, trad. fr., Paris, 1900.
  2. Op. cit., p. 9.