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« organisme social » nous semble imprudente et dangereuse, non seulement parce que l’évolutionnisme matérialiste et spencérien l’a mise en grande faveur, mais aussi parce qu’elle implique logiquement, comme on l’a vu plus haut, une véritable similitude entre l’âme et l’État, similitude qui est ou bien radicalement fausse ou bien inconciliable avec la liberté morale et civile des individus, c’est-à-dire inconciliable avec leur personnalité. L’âme est une substance pensante : l’État n’est ni pensant, ni substance.

Par malheur aussi, ceux des chrétiens sociaux qui se sont prononcés si énergiquement pour la thèse de l’organisme social, ne l’ont fait que pour y trouver des arguments d’analogie en faveur d’un accroissement des pouvoirs et des devoirs de l’État. Ils l’ont bien montré, en effet, quand ils ont proclamé que « l’idée chrétienne de l’organisme moral de la société et son application pratique

    pour ainsi dire la matière organique de la société ; il commence, croit, se forme, se développe en même temps que la société et ne fait qu’un avec elle. Il forme les os et les nerfs du corps social. Aussi c’est d’abord sur lui que, dans toute société, doit se baser la formation du droit. Le droit est, en effet, le système des tendons et des muscles… L’organisme administrateur a son siège dans l’autorité. Ce second organisme présuppose le premier ; qu’il doit reconnaître, protéger et favoriser, de même que l’âme reconnaît, protège et favorise l’organisme du corps qu’elle gouverne… » (Il a été expliqué plus haut (op. cit. p. 40) que « chaque partie de l’organisme naturel, une fois animée par le principe vital, a son activité propre et intrinsèque, parfaitement différente du moteur central » )… « Ce principe, quêta structure organique propre à l’homme individu se produit pour ainsi dire similairement dans la structure naturelle de l’être social, est un fait péremptoirement démontré tant par la nature que par l’histoire… Saint Thomas pose directement l’idée de l’organisme vivant de la société comme fondement de la sociologie et du droit public. » Ici le R. P. Meyer invoque les livres III et IV du traité De regimine principum. Mais les allusions que ces livres III et IV font l’un à l’élection d’Albert d’Autriche en 1298, et l’autre à l’expédition de Charles VIII, roi de France, en Italie, en 1495, ne permettent pas d’attribuer à saint Thomas d’Aquin (mort en 1274) cette partie du De regimine principum (Voyez Meyer, Principes fondamentaux de la sociologie chrétienne, trad. franc., § 10, pp. 36, 41, 42, 43, 49). — Au contraire, le R. P. Castelein, S. J., dit textuellement ceci : « Il est faux que saint Thomas pose directement l’idée de l’organisme vivant de la société comme fondement de la sociologie et du droit public » (Institutiones philosophim moralis et socialis, p. 645 en note). — La question est judicieusement discutée dans un opuscule du R. P. Calmes, l’État, sa nature et ses fonctions, 1903.