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châtiments individuels qui étaient la sanction de ces devoirs[1] ; et la philosophie spiritualiste, de quelque école que ce fût, n’avait pas imaginé davantage une âme sociale distincte des âmes individuelles.

Alors, direz-vous, il n’y avait donc point de liens entre les membres de la société ? Si, il en existait. Ces liens étaient faits des devoirs de justice et de charité que tout homme doit remplir envers les autres et à l’accomplissement desquels l’État doit veiller ; ils étaient faits aussi de la commune destinée nationale et politique qui est la conséquence de l’idée de patrie. Particulièrement dans la doctrine chrétienne, ils étaient faits de la fraternité qui unit tous les hommes comme enfants d’un même Père qui est aux cieux ; ils étaient faits de la communauté qui unit tous, les citoyens d’une même nation comme justiciables des mêmes récompenses ou des mêmes châtiments terrestres que cette nation peut s’être attirés, et comme appelés en elle au même rôle providentiel qui peut lui avoir été assigné dans les desseins éternels de l’histoire du monde ; ils étaient faits, enfin, dans la doctrine chrétienne, de la communion mystique qui rapproche tous les membres vivants de la même Église comme associés aux mêmes grâces, aux mêmes mérites et aux mêmes espérances ; et nulle part assurément ne se trouve une solidarité plus haute que celle qui nous unit en un Dieu Rédempteur. Mais en dehors de cela, c’est-à-dire dans le domaine du libre arbitre, de la conscience et de la responsabilité morale, la séparation des personnes était complète et absolue.

  1. M. G. Palante (Précis de sociologie, Paris, 1901, p. 174) donne cette définition : « L’individualisme est une doctrine qui, au lieu de subordonner l’individu à la collectivité, pose en principe que l’individu a une fin en lui-même ; qu’en fait et en droit il possède une valeur propre et une existence autonome ». — Si cette définition est aussi exacte qu’elle est étymologique, il est bien difficile de contester le caractère individualiste du dogme et de la morale évangélique. Nous nous gardons bien d’ailleurs de le contester. On peut consulter, sur le caractère essentiellement personnel et individualiste de la morale chrétienne, notre travail le Christianisme et la Solidarité ? paru dans la revue l’Université catholique, n° de mars 1906.