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l’avaient alors prise toute faite dans le milieu spiritualiste où ils vivaient.

Puis tout a changé de face avec l’apparition de l’historisme et du socialisme d’État et avec la mission que l’on a assigné à l’État d’informer et de conduire la société tout entière.

D’après ces nouvelles théories, en effet, il n’y a plus rien d’absolu dans le monde économique ; partout il n’y a que des phénomènes contingents et successifs ; partout il n’y a que des lois aussi changeantes que les faits et les milieux. L’évolution de l’économie en tant que science et en tant qu’art suivra donc l’évolution de la société. Mais qu’est-ce que cette Société qui évolue ? Quelle unité possède-t-elle ? Quelles facultés sont les siennes ? Comment cette unité et ces facultés se concilient-elles avec l’unité psychologique et les facultés des individus ? Questions d’une importance capitale ; car il est clair que plus on donnera à la société, plus on enlèvera aux individus sous le rapport de leur unité substantielle et de leurs facultés en conflit avec l’unité et les facultés sociales, plus aussi l’on encouragera l’intervention active des pouvoirs publics, sous la forme de socialisme d’État, et plus l’on restreindra du même coup le champ d’initiative et de liberté des particuliers.

À cet égard, les anciennes données chrétiennes ou simplement même spiritualistes étaient plus favorables à la liberté.

La morale chrétienne était essentiellement individualiste[1], je ne dis pas par l’objet des devoirs qu’elle imposait — Dieu et le prochain — mais par les récompenses ou les

  1. « Le christianisme, dit M. d’Eichtal, a péché par l’exagération qu’il a donnée à la personnalité individuelle » (Eugène d’Eichtal, Socialisme et problèmes sociaux, 1899, p. 188). — Cette opinion est actuellement très répandue parmi nos adversaires de toutes les écoles socialistes, ignorants volontaires des œuvres merveilleuses que notre charité chrétienne, fondée sur la notion du devoir individuel, a été seule capable d’imaginer et d’accomplir là où l’altruisme et la solidarité demeuraient impuissants et stériles.