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dans l’histoire, en condamnant partout toute prévision sur les conséquences de nos actes, comme aussi sur les conséquences des événements de la nature ou de la politique.

Digression peut-être, cette discussion nous semblait utile pour expliquer l’attitude que selon nous l’on doit tenir en face de l’école historique, lorsque celle-ci apparaît forte de l’assentiment de quelques hommes bien intentionnés.


III

L’IDÉE DE SOLIDARITÉ

Si la nature humaine peut et doit changer au cours des siècles, ce doit être, a-t-on dit, par la substitution du mobile de l’amour au mobile de l’intérêt[1]. L’économie politique classique reposait sur les calculs de l’égoïsme, que venaient servir toutes les applications du principe économique : on veut inventer toute une économie politique nouvelle qui, dégagée de l’ancien appareil scientifique, soit tout entière un art inspiré par l’altruisme et qui réside elle-même tout entière dans un merveilleux agencement des institutions solidaristes.

Nous touchons ainsi au mot essentiel qui caractérisera le nouvel ordre de choses : ce sera la solidarité. Le mot, il est vrai, ne date pas d’hier, au moins dans la langue du droit, puisque les anciens jurisconsultes le possédaient déjà, sans avoir eu autre chose à faire qu’à le tirer presque tout formé du droit romain, et puisque Joseph de Maistre, dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg, en 1804, le signalait déjà comme « le plus propre à exprimer la réversibilité des mérites[2] ». Mais, malgré un essai inaperçu tenté par

  1. Voyez plus haut, p. 504, la citation des Principes d’économie politique de M. Gide.
  2. Op. cit., édit. de 1831, t. II, p. 336.