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relevait pas de leur science[1]. Jamais non plus ils n’ont présenté les lois économiques comme opérant avec la force toujours mathématiquement égale des lois de la physique et de la chimie ;

2° En ce qui concerne le déterminisme, il ne faut pas oublier que même le choix de la volonté entre les divers moyens qui nous semblent devoir servir notre intérêt économique si c’est lui qui nous guide, et cela très honnêtement, laisse toujours subsister en chacun de nous la plénitude du libre arbitre, tout aussi bien que la nécessité naturelle où nous sommes de tendre à notre bonheur, ne renferme en soi aucun principe condamnable de déterminisme, puisque chacun est libre de mettre son bonheur où il veut ;

3° Enfin, en ce qui concerne la diversité des actes de chaque individu pris à part, les économistes ne se sont jamais arrêtés aux actes individuels pour affirmer la certitude d’un seul d’entre eux ; au contraire, ils se sont toujours bornés à décrire ou à prévoir des actes moyens et généraux. Par exemple, il est très vrai que je ne puis affirmer de personne en particulier qu’il fera l’année prochaine le voyage de Paris, puisque d’ailleurs il peut tomber malade ou mourir ; mais si je connais combien, d’hommes ont fait ce voyage l’année dernière et de quelle quantité moyenne ce nombre varie chaque année, je peux prédire, entre deux limites extrêmes très rapprochées l’une de l’autre, le nombre des voyages de l’année prochaine, à la condition d’ailleurs que j’aie bien soin d’exclure de mes prévisions les cas d’événements exceptionnels comme une guerre ou une épidémie. Ainsi l’incertitude sur les actes individuels est remplacée par une véritable certitude sur les actes moyens et généraux. Le nier, ce serait s’interdire tout art économique ou politique ; ce serait tirer du principe du libre arbitre la nécessité inéluctable de l’anarchie

  1. Voyez supra, pp. 296 et s., la « Critique générale de l’école orthodoxe ou classique » et particulièrement p. 300.