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lois morales, qui les domineraient ou mieux encore les effaceraient derrière elles ; 2° le libre arbitre, par opposition au déterminisme ; enfin, 3° la nécessité d’une intervention efficace et directe de l’État pour l’amélioration immédiate du sort des classes ouvrières. De ces arguments, les deux premiers sont tirés de données inexactes empruntées à la philosophie ; le troisième est moins une raison qu’un sentiment, mais il nous achemine à un socialisme d’État qui a été très effectivement insinué et même professé par des catholiques. Nous ne nous arrêterons ici qu’aux deux premiers arguments, en ajournant un peu la discussion du troisième.

I. — Les lois économiques et la morale.

Très souvent donc, comme nous disions, l’économie politique a été rattachée à la morale, pour en être regardée comme une dépendance[1]. La morale enseigne à l’homme comment il doit se conduire en général ; l’économie politique lui enseignerait en particulier comment il doit, au point de vue de la conscience, se conduire et être conduit en matière commerciale, industrielle et financière, et ce ne serait que pour formuler cet enseignement que l’économie politique aurait à étudier les phénomènes de la production, de la répartition et de la consommation[2]. Ainsi envisagées, les lois économiques n’existeraient que comme une classe particulière des lois morales, pour

  1. Voyez particulièrement sur ce point le P. Liberatore, Principes d’économie politique, 1889 ; — R. P. Ch. Antoine, Cours d’économie sociale, lre éd., 1896 ; — et généralement ceux des théologiens qui ont voulu écrire sur l’économie politique avant d’avoir observé et compris les phénomènes économiques sous leur forme réelle et concrète. — Qu’il nous soit permis de noter que les ouvrages plus judicieux et fort bien documentés du R. P. Gastelein. (Socialisme et droit de propriété, Paris, 1897 ; Institutiones philosophiæ moralis et socialis, Bruxelles, 1899, et Droit naturel, 1903) et du R. P. Ghabin (Vrais principes de droit naturel, politique et social, Paris, 1901) sont heureusement conçus dans un sens tout opposé. Aussi faut-il se garder de trop généraliser la critique que nous venons de faire des théologiens.
  2. Le P. Liberatore, qui semble être l’auteur le plus autorisé de cette école, ne reconnaît pas la circulation comme une branche spéciale de l’économie politique.