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remplacée par une vertu, même surnaturelle, de renoncement. En vain M. Charles Périn considère-t-il celle-ci comme la première et la plus essentielle des forces économiques : il n’en faut pas moins qu’une prudence toute humaine accompagne ou précède ce renoncement ; car il ne pourrait se substituer à elle sans l’éteindre ; bien plus, dans certains cas que M. Périn n’a point dégagés, il risque de la décourager en l’empêchant de voir le but auquel elle doit tendre[1]. Peut-être est-ce à cause d’un affaiblissement de cette vertu tout humaine de prudence, que la prospérité économique et l’essor commercial de la Hollande et de l’Angleterre, après le XVIe siècle, ont contrasté avec le déclin dans lequel tombaient alors des nations catholiques du midi de l’Europe, où cependant l’esprit de renoncement ne devait point avoir disparu, mais où cette prudence appliquée à l’acquisition et à la conservation des richesses n’avait point gardé la clairvoyance et l’énergie des périodes antérieures.

Les vrais facteurs de la richesse sont le travail et l’épargne : le travail, qui est rendu plus fécond par les capitaux déjà formés, et l’épargne, qui aide à en former d’autres pour l’avenir. Or, il est impossible de croire que l’épargne économique soit la même chose que le renoncement : car, l’épargne ne peut venir qu’après le travail ; elle en suppose les produits ; elle les suppose aussi plus abondants que la consommation ne les exige, tandis que le renoncement se conçoit et se pratique fort bien sans travail de production économique et par conséquent sans produits de ce travail.

Ainsi le renoncement individuel, élevé au niveau d’une vertu, ne peut être un élément de richesse ou de progrès économique qu’à la double condition de ne pas détourner des formes économiques du travail et d’être accompagné ou corrigé par un esprit au moins collectif de capitalisa-

  1. Voyez Schatz, l’Individualisme, p. 396.