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croissante de production[1] », par une division plus grande du travail, par une moindre déperdition de forces et par une coopération plus efficace de tous les efforts.

II — Les intérêts sont harmoniques.

Par conséquent, la recherche honnête et morale de l’intérêt personnel réalise, sans qu’on le sache et sans qu’on le veuille, l’intérêt d’autrui, c’est-à-dire l’intérêt général, idée qui se trouvait déjà exprimée dans Adam Smith[2].

C’est cette théorie qui a inspiré à Bastiat son délicieux apologue du menuisier[3], et il a trouvé dans l’ardeur généreuse de ses convictions le secret de revêtir de tout le charme de la poésie quelques-uns des problèmes les plus mystérieux et les plus suggestifs de toute l’économie politique.

Mais Bastiat est ici un philosophe bien plus profond qu’Adam Smith.

Comment se fait-il donc que l’intérêt personnel soit si fidèle à servir l’intérêt général ? C’est parce que cette recherche de l’intérêt personnel aboutit à une diminution de la valeur des choses. Ainsi éclate l’harmonie intime qui règne entre toutes les parties de l’œuvre de Bastiat.

La valeur — disions-nous tout à l’heure avec lui — représente ce qu’il en coûte d’efforts pour se procurer une richesse. Or, tout progrès industriel, toute production plus abondante diminue la rareté d’une richesse et nous fait moins apprécier le service de celui qui nous la procure. Chaque chose en elle-même, ou chaque service qui nous procure la chose, garde bien en soi la même utilité pour la satisfaction de nos besoins : mais, dans ce total invariable et constant d’utilité, il y a une part toujours croissante d’utilité gratuite, une part toujours décroissante d’utilité onéreuse. Tous les progrès anciens, réalisés comme ils

  1. Avis à la jeunesse, p. 17.
  2. Richesse des nations, 1. IV, ch. ii, t. II, p. 35.
  3. Harmonies économiques, ch. i, « Organisation naturelle ». — Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., p. 244.