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guerre civile dans les rues : il aspire à l’union et à la fraternité dans la vérité économique et sociale[1].

Les Harmonies économiques, malheureusement inachevées, devaient être ce monument indépendant et complet. Puisque nous ne les possédons pas dans leur ensemble, cherchons au moins, en nous pénétrant de l’Avis à la jeunesse française qui les précède, à savoir et à comprendre ce qu’elles auraient dû être dans leur plein achèvement.

D’abord Frédéric Bastiat critique ses devanciers. La plupart d’entre eux, dit-il, « ont attribué de la valeur aux agents naturels, aux dons que Dieu avait gratuitement prodigués à sa créature… Voilà donc des hommes, et en particulier les propriétaires du sol, vendant contre du travail effectif les bienfaits de Dieu et recevant une récompense pour des utilités, auxquelles leur travail est resté étranger. — Injustice évidente, mais nécessaire, disent ces écrivains[2]. « Ricardo a conclu que l’accroissement de la population amène « opulence progressive des hommes de loisir, misère progressive des hommes de travail » ; Malthus a été plus attristant encore : c’est le « paupérisme inévitable », parce que « la contrainte morale, pour être efficace, devrait être universelle et que nul n’y compte ». Les économistes disent donc que « les grandes lois provi-

  1. C’est précisément le reproche que lui fait Ingram, reproduisant les critiques de Cairnes dans les Essays on political economy. « Bastiat, dit-il, était disposé d’avance à accepter les idées qui paraissaient sanctionner des institutions légitimes et utiles, et à rejeter celles qui lui semblaient mener à des conséquences dangereuses. Son but constant est, comme il le dit lui-même, de briser les armes des raisonneurs antisociaux ; et cette préoccupation est en.opposition directe avec l’effort d’un esprit sincère marchant à la conquête de la vérité scientifique. Il est un peu faible en philosophie ; il est tout pénétré d’idées de téléologie théologique ; et ces idées le poussent à former des opinions a priori de ce que les faits et les lois en existence doivent nécessairement être. Et le jus naturae, qui, comme toutes les idées métaphysiques en général, prend racine dans la théologie, est tout autant chez lui que chez les physiocrates un postulat » (Histoire de l’économie politique, tr. fr., pp. 254 et 256). — Ingram, on le sait, appartient à l’école historique. — On trouve les mêmes critiques dans M. Schatz, Individualisme, pp. 270 et s.
  2. Avis à la jeunesse française, éd. Guillaumin, 1850, p. 8.