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richesses. Ce qu’ils en ont dit est généralement vrai : mais ce qu’ils en ont dit n’est pas la condition unique et suffisante de la prospérité, même matérielle, des sociétés. Il faut songer aux générations qui grandissent et songer même à celles qui ne sont pas nées encore.

Bien plus, ce souci de l’avenir, l’État ne doit pas être seul à le porter. Entre l’État et l’individu, une place est due à la famille. Donc, à cet égard, il y a un rapprochement à faire entre la nation et la famille, entre l’économie nationale et l’économie domestique. Voilà aussi pourquoi les nations où les résultats lointains, c’est-à-dire, les intérêts véritablement nationaux, sont le moins sacrifiés aux jouissances immédiates, sont précisément celles où la famille est le plus respectée, celles où son chef porte le plus loin le souci de sa descendance. Voilà pourquoi, du même coup, toutes les législations qui — comme la nôtre actuellement en France — corrompent les mœurs, dissolvent l’union domestique, affaiblissent la puissance paternelle et provoquent aux jouissances égoïstes du présent, voilà pourquoi, disons-nous, toutes ces législations commettent un crime contre la sécurité et la perpétuité même de l’être national.

Or, cette opposition possible ou tout au moins cette distinction de l’intérêt national et des intérêts privés avait été, avant List, fort bien précisée par Raymond[1].

Ce qui est plus singulier, c’est que quelque chose de leurs vues à tous deux a passé depuis lors chez les écri-

  1. « Smith, dit Raymond, semble avoir admis comme un dogme que les intérêts nationaux et les intérêts individuels ne sont jamais opposés. On ne peut pas imaginer une doctrine plus fausse dans son principe ou plus abominable dans ses conséquences… On ne peut pas attendre d’un homme qu’il abandonne un avantage présent et particulier (à supposer qu’il n’y ait rien d’anormal à le recueillir), parce que ce profit présent pourrait être préjudiciable à la postérité. Cet homme peut ne pas avoir de postérité, ou bien, s’il en a, les intérêts de celle-ci, vus à la distance de deux ou trois générations, sont trop éloignés pour pouvoir influer sur le choix de la conduite que lui-même doit tenir » (Raymond, Thoughts on political economy, 4e édition, p. 166).