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création et la distinction de l’esprit et de la matière. Que les scolastiques asseoient même leur théorie de la matière et de la forme, et la physique n’existe pas encore : car des principes de ce genre, s’ils peuvent être des bases d’une science, ne seraient pas cependant la science elle-même, pas plus que le cadre ni la toile du tableau n’est la même chose que la peinture.

À ce titre, le christianisme, à proprement parler, n’a fondé aucune science humaine, à tel point que beaucoup d’entre elles, nées en dehors de lui, lui sont postérieures de près d’une vingtaine de siècles. Mais il n’en a pas moins rendu à toutes des services inappréciables, en contribuant d’abord par sa morale à la constitution d’un état social où elles peuvent plus facilement naître et se développer, puis en les gardant de l’erreur, dans certains cas, par la certitude qu’il leur donnerait qu’elles font fausse route, si elles prétendaient jamais trouver quelque chose qui fût en une opposition irréductible avec ses dogmes.

En face de l’économie politique, le christianisme n’a pas une attitude différente. Lors même que ses commandements ou ses conseils sont d’accord, ainsi que nous verrons plus loin, avec les mesures pratiques que cette science peut bien inspirer, c’est encore au nom de la morale et de Dieu, mais non pas directement au nom de l’intérêt humain, qu’il fait entendre sa parole.

Telle est, par exemple, la voie qui fut suivie pour la suppression lente et graduelle de l’esclavage, puis du servage. Au point de vue économique, l’Église aurait pu démontrer la productivité du travail libre, supérieure à celle du travail servile. Mais elle ne s’est adressée qu’au sentiment et au devoir. C’était d’ailleurs le temps où ses docteurs ne condamnaient pas en principe la puissance de l’homme sur l’homme, pourvu que le maître regardât et traitât l’esclave comme un frère. L’Église, en parlant à la conscience et au cœur, a été tout aussi bien écoutée, sinon mieux, et ceux qui répondaient aux inspirations de sa charité, ont eu le