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également de tout équilibre[1]. » En matière d’associations, c’est encore la liberté qui doit prévaloir ; car, bien loin de se rallier sur ce point à l’individualisme obligatoire de Quesnay et de J.-J. Rousseau, et « bien loin de penser que les sociétés et associations produisent nécessairement des conséquences mauvaises », de Humboldt les considère comme « un des plus sûrs et plus féconds moyens pour produire et accélérer le progrès de l’humanité[2] ».

Au résumé, « l’État doit s’abstenir entièrement de tout travail tendant à agir directement ou indirectement sur les mœurs et le caractère de la nation, si ce n’est lorsque ce travail se relie fatalement, comme conséquence naturelle et allant de soi, à ses autres prescriptions absolument nécessaires… Toute surveillance exercée sur l’éducation, sur l’organisation religieuse, sur les lois somptuaires, etc., est tout à fait en dehors de l’action de l’État[3]. »

À quoi se bornera donc le rôle de l’État ? À la défense armée et à la représentation extérieure[4] ; à la sauvegarde de la justice dans les actes individuels qui touchent autrui d’une manière immédiate et directe (lois civiles) ; à la punition des transgressions dont les ordres ou les défenses de l’État seraient l’objet (lois pénales) ; enfin à la protection des personnes qui n’ont pas la jouissance intégrale des forces naturelles de l’humanité.

Je ne dis point que Humboldt, connu si tard, ait exercé une grande influence sur les idées de son siècle ; mais il est hors de doute qu’il avait traduit, au début même de la période révolutionnaire, des idées qui n’étaient ni

  1. Op. cit., ch. vi, pp. 81-83.
  2. Op. cit., ch. x, p. 179.
  3. Op. cit., ch. viii, p. 138.
  4. Ce qui est très curieux et pour ainsi dire inexplicable, c’est le jugement de Humboldt sur la guerre : il la regarde comme « un des phénomènes les plus salutaires au progrès du genre humain », et il déclare que c’est « avec peine » qu’il’la voit « disparaître de plus en plus de la scène du monde » (Op. cit., ch. v, p. 66). Mais c’était en 1792 qu’il avait écrit ces dernières lignes et l’histoire allait lui donner un étrange démenti.