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Jérémie Bentham (1748-1832), destiné d’abord à la carrière du barreau, n’avait pas tardé à la quitter pour se livrer tout entier à des spéculations sur la législation et la morale, dans lesquelles il prenait Helvétius pour maître et pour guide[1]. Son Introduction aux principes de législation et de morale, publiée en 1780, renferme déjà tout son système. Pour lui, l’homme est placé sous l’empire du plaisir et de la douleur ; toute la morale consiste à chercher l’un et à fuir l’autre ; l’idée du juste est adéquate à l’idée de l’utile ; et la « logique de l’utilité », critérium du bien et du mal, « consiste à, partir, du calcul ou de la comparaison des peines et des plaisirs dans toutes les opérations du jugement et à n’y faire entrer aucune autre idée[2] ». Mais comment un tel principe d’égoïsme individuel pourrait-il fournir une règle quelconque d’ordre social et de gouvernement ? Eh bien, de même que « ce qui est conforme à l’utilité ou à l’intérêt de l’individu, c’est ce qui tend à augmenter la somme totale de son bien-être », ainsi « ce qui est conforme à l’utilité ou à l’intérêt d’une communauté, c’est ce qui tend à augmenter la somme totale du bien-être des individus qui la composent[3]. » Le problème sera résolu par la liberté. La règle, ce sera de « ne pas trop gouverner et de laisser les hommes vivre à leur fantaisie, sous la seule condition qu’ils ne se nuisent pas les uns aux autres. Pour accroître la richesse, ce que l’État a de mieux à faire, c’est de ne rien faire. Rien : c’est-à-dire rien comme encouragement positif, , car il ne saurait trop ôter les entraves. « C’est dans cet esprit que Bentham avait écrit les fameuses Lettres sur l’usure

  1. Bentham a considérablement écrit. Ses œuvres, dont quelques-unes ont paru d’abord en français, ont été recueillies et même arrangées par Étienne Dumont, ministre protestant de Genève établi en Angleterre au commencement de la Révolution. Dumont a remanié plusieurs manuscrits de Bentham.
  2. Principes de législation (arrangés de l’Introduction aux principes de législation et de morale, parue en 1780), ch. i.
  3. Ibid.