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Ricardo, qui est le métaphysicien de l’économie politique, est sans doute moins abondant en déclarations philanthropiques. C’est lui cependant qui déclare que « tous les amis de l’humanité doivent désirer que les classes laborieuses cherchent partout le bien-être, les jouissances légitimes, et soient poussées par tous les moyens légaux à les acquérir[1] ».

Plus facile à défendre est Malthus, malgré sa page fâcheuse sur les conséquences économiques de l’aumône. Lui aussi vante et réclame les factory acts ; il a de très sévères descriptions de la condition où les enfants étaient réduits dans les usines de Manchester, et il la met justement en contraste avec la condition des habitants des campagnes, meilleure au double point de vue matériel et moral[2] ; il a enfin un cri d’indignation qui mérite d’être entendu. « Si un pays, dit-il, n’avait pas d’autre moyen de s’enrichir que de réduire les salaires, je dirais sans hésiter : Périssent des richesses pareilles ! Il est fort à désirer que les classes ouvrières soient bien payées, pour une raison bien plus importante que toutes les considérations relatives à la richesse, je veux dire pour le bonheur de la plus grande masse de la société… Je ne connais rien de plus misérable que de condamner, sciemment les classes ouvrières à se vêtir de haillons et à habiter des huttes affreuses, pour vendre un peu plus de nos tissus et de nos calicots à l’étranger[3]. »

Tel est le jugement d’ensemble que l’on peut porter sur ce qu’on est convenu d’appeler les grands économistes classiques. Faudrait-il croire cependant que Smith, Say, Malthus et Ricardo aient procédé d’un même esprit et qu’il n’y ait pas entre eux de nuances et même une gradation ? Ce serait aller beaucoup trop loin. S’ils forment

  1. Ricardo, Principes, ch. v, p. 72.
  2. Principe de population,. III, ch. xiii (pp. 444-445), avec la description des environs de Manchester par le docteur Aikin.
  3. Principes d’économie politique, éd. Guillaumin, p. 361.