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hypothèse par hypothèse, ce qui peut et doit se produire dans telle ou telle conjoncture.

Méconnaissance des qualités personnelles des individus. — Ici, si le grief paraît tout d’abord fondé en fait, il ne l’est nullement en droit. Pourquoi cela ? Parce que toute science est une généralisation et que toute science doit tendre à dégager, en tout ordre de connaissances, les éléments généraux et typiques des éléments accidentels et personnels. Je demande s’il n’en est pas ainsi dans toute philosophie. Ne s’y crée-t-on, par l’abstraction, un homo philosophicus complet, doué uniformément de mémoire, d’entendement, d’imagination et de liberté, comme si ces qualités du sujet pensant et voulant étaient identiques chez tous les hommes et comme s’il n’y avait pas à tenir compte des différences individuelles qu’ils doivent à la conformation des organes, à l’éducation et à l’habitude personnelle, ou bien encore à l’atavisme et à l’hérédité ? Allons plus loin et demandons-nous si la psychologie classique a bien souvent admis la théorie des responsabilités atténuées ou partielles, théorie qui a conquis cependant sa place en droit criminel et en physiologie.

Et cependant Adam Smith n’est pas sans analyser les causes de supériorité des hommes entre eux[1], ainsi que les différences d’habitudes qui « influent naturellement, dans tous les genres d’affaires, sur leur caractère et leurs dispositions[2] », tout en reconnaissant du reste que bien des différences observées chez l’adulte sont moins la cause que l’effet de son genre de vie antérieur[3].

Il semble bien aussi que Ricardo ait basé toutes ses déductions, en matière d’impôts et de revenus, sur la division

  1. Richesse des nations, 1. V, ch. i, sect. ii, t. II, p. 363.
  2. Ibid., 1. III, ch. iv, t. I, p. 505.
  3. « Dans, la réalité, dit-il, la différence des talents naturels est bien moindre que nous ne croyons : et les aptitudes si différentes qui semblent distinguer les hommes des diverses professions, n’est pas tant la cause que l’effet de la division du travail en beaucoup de circonstances » (Ibid., 1. I. ch. ii, t. 1, p. 20).