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au xive siècle, le phénomène de renchérissement progressif des terres, lorsqu’une population, comme alors les Maures d’Andalousie, se sent de plus en plus pressée sur un espace restreint[1].

Grâce au socialiste Lassalle, qui a prétendu trouver la loi d’airain dans Adam Smith, Say, Malthus et Ricardo, la formule du « salaire naturel » donnée par ce dernier, n’est pas moins célèbre, ainsi que les divergences que ce salaire naturel peut présenter avec le « prix courant du travail[2] ». Mais dans le fond Ricardo n’est pas aussi pessimiste qu’on le pourrait croire à première vue. Comme les conditions sociales sont susceptibles d’amélioration et que les capitaux peuvent augmenter, il ne désespère pas d’une hausse du prix courant des salaires. Ce qui est plus vrai, c’est que Ricardo, qui partageait les inquiétudes de Malthus sur la surpopulation et qui n’était pas moins que lui un adversaire des poor-laws, considérait comme un malheur pour les classes pauvres la fécondité naturelle dont elles ne parvenaient pas à se dépouiller[3]. Mais comment n’eût-il pas été amené à s’effrayer pour elles de cette perspective, lui qui basait toute sa théorie économique sur la loi du rendement non proportionnel de l’agriculture et sur une cherté croissante des denrées alimentaires, cherté qui devait fournir aux propriétaires du sol une rente foncière appelée à croître, elle aussi, sans limites ?

Le monde scientifique doit à Ricardo une formule d’une bien autre portée que celle de la rente. C’est la théorie

  1. Claudio Jannet, Capital, spéculation et finance au xixe siècle, p. 117.
  2. Principes de l’économie politique et de l’impôt, ch. v. — Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e éd., pp. 521-522 ; — Maurice Block, Progrès de la science économique depuis Adam Smith, 1re éd., t. II, pp. 266 et 298.
  3. « C’est une vérité incontestable que l’aisance et le bien-être des pauvres ne sauraient être assurés, à moins qu’ils ne cherchent eux-mêmes ou que la législation ne les conduise à diminuer la fréquence des mariages entre les individus jeunes et imprévoyants. Le système de la législation sur les pauvres a agi dans un sens tout à fait opposé. Il a rendu toute contrainte superflue : et l’on a séduit la jeunesse imprudente en lui offrant une portion des récompenses dues à la prévoyance et à l’industrie » (Principes de l’économie politique et de l’impôt, ch. v, tr. fr., p. 73).