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raison des moyens de subsistance[1] ». J.-B. Say, tout en recommandant déjà la prudence dans l’union conjugale[2], proclamait encore que « rien ne peut accroître la population que ce qui favorise la production, et que rien ne peut la diminuer, au moins d’une manière permanente, que ce qui atteint les sources de la production[3] ». C’était aussi le sentiment d’un médecin suisse, Herrenschwand[4], qui, avant de déduire toute une économie politique arrangée en vue d’assurer le maximum de subsistance, posait en principe que « l’espèce humaine est susceptible de multiplication tant que la procréation n’a pas atteint les limites de la nourriture[5] », mais pas au-delà, et qu’un « excès de procréation » est parfaitement possible.

L’éventualité d’un défaut d’équilibre devait préoccuper tout particulièrement l’Angleterre. Les poor-laws (ou lois sur les pauvres) y mettaient les indigents à la charge de leurs paroisses respectives, en les faisant entretenir par des impôts que payaient seuls les propriétaires fonciers. Or, la charge était lourde, et il était tout naturel qu’on voulût la réduire ou l’empêcher d’augmenter. Aussi, dès 1770 — bien avant Malthus par conséquent — Denham Steuart demandait déjà qu’on interdît le mariage aux pauvres[6].

Toutefois ce fut Malthus qui fit vraiment sienne cette question par l’ampleur inattendue qu’il lui donna.

Thomas-Robert Malthus (1766-1834) était né dans le comté de Surrey, d’une famille très imbue de philosophie, qui avait eu pour hôtes Hume et Rousseau. Le jeune Malthus se fit ministre. Son père admirait alors beaucoup les

  1. Richesse des nations, 1. II, ch. i, sect. 1, t. 1, p. 190.
  2. Cours complet, 1. VII, ch. xxxii, éd. Guillaumin, t. II, p. 362.
  3. Traité, 1. II, ch. ii, § 1, 2e édit., t. II, p. 149.
  4. Publié à Londres en 1786 et traduit en français, Paris, an III, sous le titre De l’Economie politique moderne, Discours fondamental sur la population.
  5. Op. cit., tr. fr., pp. 2-3.
  6. Inquiry into principles of political economy, t. I, p. 127.