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ce qu’on a produit pour lui[1]… Que devons-nous conclure de là ? Si c’est avec des produits que l’on achète des produits, chaque produit trouvera d’autant plus d’acheteurs que tous les autres produits se multiplieront davantage… C’est si bien avec des produits que l’on achète les produits, qu’une mauvaise récolte nuit à toutes les ventes[2]. »

De la théorie des débouchés on tire sans peine :

1° Le principe de la solidarité des industries, des régions et des nations entre elles, et ici Say critique fort justement Voltaire, qui « fait consister le patriotisme à vouloir du mal à son voisin[3] ». Mais cette théorie non plus n’avait de nouveau que sa forme, car les économistes du xviiie siècle n’avaient pas été sans la voir ;

2° La réfutation de la théorie de la surproduction. « Si tous les produits s’achètent les uns les autres, demande J.-B. Say, comment arrive-t-il qu’à certaines époques tous les produits surabondent à la fois et qu’on ne trouve à vendre quoi que ce soit ? » Et J.-B. Say répond par le

  1. Ici J.-B. Say pense sans doute au propriétaire non cultivateur et au capitaliste non entrepreneur.
  2. Cours complet, IIIe partie, ch. ii, t.1, pp. 338 et s. — Cependant J.-B. Say, entraîné par l’enthousiasme de son idée, fait ici même une application inexacte de sa théorie. « Comment, dit-il, voit-on maintenant acheter, en France, huit ou dix fois plus de choses qu’il ne s’en achetait sous le règne de Charles VI ? Qu’on ne s’imagine pas que c’est parce qu’il y a plus d’argent… C’est que les Français produisent dix fois plus. » — Eh bien, entre les deux époques, le règne de Charles VI et celui de Louis XVIII (la population avait augmenté probablement de 50 %, c’est-à-dire de moitié), il y a surtout cette différence que la division du travail et des professions a été poussée beaucoup plus loin et qu’un régime de Geldwirthschaft a succédé à un régime qui tenait encore beaucoup de la Naturalwirthschaft, à un régime où chacun vivait beaucoup sur son fonds, où chacun tout au moins ne connaissait guère que des produits de sa localité. Il serait faux de croire que du commencement du xve siècle au commencement du xixe siècle les productions de la France eussent augmenté dans le rapport de 1 à 10 comme le dit J.-B. Say. — Voilà une de ces questions que l’étude de l’histoire a contribué singulièrement à éclaircir. J.-B. Say donnerait à penser — ce qui ne serait pas vrai cependant — qu’il confondait la richesse et le commerce, et qu’il ressemblait à ceux qui veulent prouver le plus ou moins de richesse des divers peuples ou du même peuple à diverses époques en faisant, sans correction aucune, des comparaisons de balances du commerce ou de trafics des chemins de fer.
  3. Cours complet, t. III, ch. ii, t. I, p. 345 ; — Voltaire, Dictionnaire philosophique, ve Partie.