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de la quantité variable de la monnaie — vérité que les physiocrates ne paraissaient pas avoir dégagée quand ils se préoccupaient, avec une sollicitude si exclusive, de la hausse nominale du prix des produits agricoles, sans qu’ils eussent jamais soulevé la question du pouvoir d’achat de la monnaie. Or, c’était là, chez les physiocrates, une grave lacune, et elle rendait incomplète leur théorie sur la hausse du prix des blés et sur l’accroissement du produit net des terres.

Il est regrettable que Graslin ait gâté toutes ces idées profondément justes, je ne dis pas par sa théorie des richesses immatérielles, où il précède Jean-Baptiste Say[1], mais par son sophisme sur la constance invariable de la masse des richesses nationales. Comment y est-il arrivé ? Par une confusion entre les deux idées de richesse et de valeur. On est d’autant plus riche, lui semble-t-il, que les choses échangeables que l’on possède ont plus de valeur ; or, si les biens se multiplient autour de nous, ceux que possède chacun d’entre nous perdent de leur valeur d’échange ; donc le produit arithmétique, qui est la richesse de tous les possesseurs ensemble, restera constant, puisqu’on se mettra à multiplier un plus grand nombre de choses utiles par une moindre valeur de chacune d’elles — « une somme double de rapports sous-doubles, dit Graslin, ne faisant jamais qu’une même somme de rapports[2] ». — Il est vrai que J.-B. Say fera plus tard une confusion analogue[3] ; mais ici Graslin aurait bien dû prévoir, tout au moins, les variations dans le chiffre de la population et les variations des rapports entre la production et la consommation.

Tout cela n’était que pour amener la théorie de l’impôt. Puisque la production est multiple et qu’elle se montre

  1. Voyez Desmars, op. cit., pp. 64 et 76.
  2. Graslin, Essai analytique, pp. 34 et s. ; — voir surtout la note, p. 34.
  3. Le sophisme de Graslin est de même nature que l’énigme posée et prise au sérieux par J.-B. Say : « Puisque la richesse est faite de la valeur des choses, comment se fait-il que les peuples soient d’autant plus riches que les richesses y sont à-meilleur marché ? »