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glements de fabrication et des monopoles de métier. Il lui semblait avec raison que, si la liberté des procédés doit amener des produits inférieurs sur le marché, il y a aussi des consommateurs à qui conviennent et cette infériorité de qualité et cette différence de prix qui doit en être là conséquence. « Laissez faire, laissez passer » était sa devise, et c’était avec ce mot d’ordre qu’il demandait la liberté du commerce et du travail. Ce fut lui qui créa la première des Sociétés d’agriculture — celle de Bretagne — Sociétés auxquelles le Journal de l’agriculture, du commerce et des finances, illustré par les physiocrates, devait servir d’organe. Mais la nature éminemment pratique de Gournay ne pouvait pas ne pas le mettre en garde contre les exagérations de cette école. Tout en estimant Quesnay, il n’admettait pas la thèse de la stérilité de l’industrie, en ce sens que cette industrie lui semblait un élément important de la prospérité. Il « pensait, dit de lui Turgot, qu’un ouvrier qui avait fabriqué une pièce d’étoffe, avait ajouté à la masse des richesses de l’État une richesse réelle[1]. » C’était toutefois chez lui une intuition et un sentiment, plutôt qu’une conviction faite d’arguments et de preuves.

Gournay nous est surtout connu par l’Éloge, que Turgot fit de lui. Reste à savoir seulement dans quelle mesure le panégyriste a pu prêter ses propres idées à l’ami dont il faisait l’éloge.

Turgot, baron de l’Aulne, était né à Paris en 1727. Il sortait d’une vieille famille, normande, dont un membre, Claude Turgot, avait présidé la noblesse de Normandie aux États Généraux de Blois de 1614. Son père avait été prévôt des marchands de Paris. Le jeune Turgot fut destiné à l’état ecclésiastique et envoyé en 1749 à Saint-Sulpice. Il s’y lia notamment, soit avec l’abbé de Boisgelin de Cucé, qui devait être successivement archevêque d’Aix, puis, après

  1. Turgot, Éloge de Gournay.