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qu’au contraire « les commerçants, les entrepreneurs de manufactures, les communautés d’artisans, toujours avides des gains et fort industrieux en expédients, sont ennemis de la concurrence et toujours ingénieux à surprendre des privilèges exclusifs[1] ». Il appelle cela la « proscription de l’intérêt particulier exclusif ». Ainsi le soin de l’égalité dans la concurrence est pour lui le motif de l’émiettement nécessaire des forces économiques. C’est donc de lui, autant que de Jean-Jacques Rousseau, que les hommes de la Révolution s’inspirèrent en dissolvant toutes les associations préexistantes, en interdisant à l’avenir tout groupement et toute entente des citoyens entre eux, et en fondant l’absolutisme jacobin sur le principe de la dispersion de toutes les forces morales et sociales. Nous reviendrons d’ailleurs sur la suppression des corporations et sur l’interdiction des associations ouvrières, avec d’autant plus de soin que le régime de fait du XVIIIe siècle est d’ordinaire moins exactement connu et présenté.

Comment les physiocrates, partisans de la liberté économique, pouvaient-ils aboutir à cette formule du despotisme de la loi ? À première vue on s’en étonne, et bientôt on arrive à le comprendre. Ils avaient des intentions droites, jointes à des convictions inébranlables. C’est même une justice à leur rendre que, sauf Baudeau et Morellet, les physiocrates étaient plutôt moins dissolus que leurs contemporains[2]. Persuadés de l’excellence de leur système, ils éprouvaient cette tentation d’intransigeance que les fortes croyances donnent si facilement ; bien plus, l’exactitude rigoureuse de leurs doctrines ne leur paraissait pas moins évidente pour les autres que certaine en elle-même. Ils se révoltaient donc à la pensée que quelqu’un pût y refuser son adhésion : partant de là, ils demandaient aux lois civiles, d’abord de convaincre quiconque aurait encore

  1. Despotisme de la Chine, ch. VIII, § 8, éd. Oncken, p. 655.
  2. Quesnay lui-même, placé auprès de la maîtresse du roi, parait avoir écarté ses enfants du milieu de Versailles (voyez éd. Oncken, p. 802 en note).