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venait suivant eux la misère des campagnes. La liberté qu’ils réclamaient était donc une liberté dont l’exportation seule aurait profité, car ils ne se préoccupaient nullement d’une importation dont l’hypothèse ne s’était jamais présentée à leur esprit. L’essentiel pour eux, c’était de faire hausser les prix pour relever le produit net des terres : or, « pour me procurer constamment et nécessairement le plus haut prix possible, il est indispensable que je puisse librement préférer l’étranger, et que les consommateurs nationaux, au lieu de me faire la loi, la reçoivent de la concurrence[1]. »

Mais Le Trosne, qui en 1777 tient encore et tout autant à cet enchérissement des produits nationaux[2], y mêle enfin quelque souci des intérêts du consommateur. Hostile aux droits de sortie, qui détourneraient de nos marchés des acheteurs étrangers ou bien qui retomberaient sur les producteurs nationaux sous la forme d’une baisse de leurs prix de vente, il l’est aussi aux droits d’entrée, parce que la nation qui achète « doit être considérée, dit-il, comme composée uniquement de consommateurs, et n’a d’autre intérêt que de payer au plus bas possible les productions qu’elle tire de l’étranger ; c’est donc à elle qu’elle préjudicie par des droits d’entrée[3]. »

Ce sont ces conseils, c’est cette opposition faite aux droits d’entrée et de sortie, en un mot c’est cette politique de franchise douanière qui a fait croire du même coup à une doctrine de libre-échange nettement formulée.

Il n’en est rien, cette théorie nouvelle demeure fortement influencée, voire même déterminée par la certitude que la

  1. Mercier de la Rivière, op. cit., p. 606. — Comparez avec Boisguilbert, supra, p. 142.
  2. Le Trosne : « Les gens qui n’ont jamais approfondi ni la source des richesses, ni l’ordre de leur distribution, ont peine à concevoir qu’une nation puisse s’enrichir par le surhaussement du prix de ses consommations, qui résulte de la liberté extérieure » (Intérêt social, ch. VII, § 3, édition Daire, p. 968).
  3. Intérêt social, édition Daire, p. 1006.