Ce n’est pas tout, et il faut voir comment les physiocrates entendaient appliquer leurs maximes. Certes, l’administration de Turgot comme intendant du Limousin et les mesures énergiques qu’il y prit pour conjurer les malheurs de la famine, ne donnent pas prétexte aux prétendus interventionnistes pour l’accuser de mollesse, d’indifférence ou d’inertie en face des souffrances populaires. Un peu plus tard c’était lui aussi qui, au préambule du fameux édit du 6 février 1776, sur la suppression des corporations, plaçait sur les lèvres de Louis XVI cette belle pensée : « Nous devons à tous nos sujets de leur assurer la jouissance pleine et entière de leurs droits : nous devons surtout cette protection à cette classe d’hommes qui, n’ayant de propriété que leur travail et leur industrie, ont d’autant plus le besoin et le droit d’employer dans toute leur étendue les seules ressources qu’ils aient pour subsister[1] » ;
2° L’uniformité du système, qui, une fois tenu pour vrai, est réputé susceptible d’être appliqué partout indistinctement.
Ce second grief est beaucoup plus fondé que le premier. Les jugements et les procédés de l’école physiocratique sont en effet trop absolus ; c’est un code en un trop petit nombre d’articles ; c’est un formulaire ne s’appliquant pas à une assez grande variété de conditions. Mais ce défaut s’explique très bien chez les physiocrates, d’abord par l’esprit éminemment classique et simpliste des salons du XVIIIe siècle ; ensuite, par l’abus de la méthode métaphysique, vers laquelle toute science qui débute a toujours incliné
- ↑ On peut rapprocher ces mots de Turgot du passage suivant de l’Encyclique Rerum novarum de Léon XIII (15 mai 1891), qui pourrait en paraître une traduction : « Les droits, où qu’ils se trouvent, doivent être religieusement respectés, et l’État doit les assurer à tous les citoyens, en en prévenant ou en en vengeant la violation. Toutefois, dans la protection des droits privés, il doit se préoccuper d’une manière spéciale des faibles et des indigents ». Ici, c’est le principe général, tandis que l’édit de 1776 se bornait à en faire une application au cas particulier qu’il visait, celui de la liberté de travailler. À cela près, où est la différence ?