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nous sommes susceptibles d’avoir. Ainsi la terre, par l’institution de la propriété, nourrit des hommes en nombre naturellement croissant, tantôt parce que ces hommes la possèdent à titre de propriétaires fonciers, tantôt parce qu’ils la cultivent pour le propriétaire moyennant une part des fruits en nature ou bien moyennant un forfait en argent, tantôt enfin parce que « vos propres besoins — à vous propriétaires fonciers — besoins soit naturels, soit factices, assurent à cette troisième classe le droit de partager dans vos récoltes[1] ». Fondée ainsi sur la disposition de notre personne et de nos actes, sur la nécessité de pourvoir au présent et de prévoir l’avenir, l’institution de la propriété assure le plus possible de jouissances à l’humanité.

En tout cas les physiocrates, sur la, question de la défense de la propriété, se mettaient bien nettement en opposition avec Hobbes, qui proclamait le droit de tous à tout[2], et également en opposition avec J.-J. Rousseau, qui s’obstinait à ne voir dans la propriété qu’une institution purement arbitraire imposée par certains hommes, institution parfaitement funeste d’ailleurs à la masse de l’humanité[3]. Les physiocrates ont ainsi contribué puissamment à l’heureuse inconséquence de la Convention, dont la plupart des membres, disciples beaucoup trop serviles de Rousseau sur tous les autres points, ont cependant répudié ou passé dans l’ombre ce qu’il y avait eu de plus nettement socialiste dans l’œuvre du philosophe genevois[4]. C’est une justice qu’il faut savoir rendre ;

  1. Droit naturel et essentiel des sociétés politiques, pp. 618-619. Mirabeau avait dit plus élégamment : « Regarde donc le riche comme un réservoir où les richesses se rassemblent pour être partagées à ceux qui travaillent… si le bassin était à sec, les plantes ne recevraient point d’eau quand la pluie manquerait » (Économiques, 1769, t. I, p. 18).
  2. Cette formule du droit de tous à tout est longuement discutée et combattue par Quesnay dans le Droit naturel (publié par le Journal de l’agriculture). — Voyez Droit naturel, ch. II, édition Oncken, pp. 366 et s.
  3. Infra, 1. IV, ch. III.
  4. Infra, 1. IV, ch. III, in fine.