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Affirmer ainsi le caractère naturel et nécessaire de la propriété, c’était aller visiblement à l’encontre de la théorie de l’ancienne monarchie, où l’on ne craignait pas de proclamer « la propriété supérieure et universelle du roi sur toutes les terres[1] ». De plus, Quesnay, protégeant ainsi la propriété individuelle contre le domaine éminent du roi, ne la protégeait pas moins contre les exagérations de la fiscalité, en posant la règle que l’impôt ne doit pas être « destructif, ou disproportionné à la masse du revenu de la nation[2] », et cela, ne fût-ce qu’au point de vue des intérêts purement économiques.

C’est Mercier de la Rivière, tout particulièrement, qui dans son Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques a approfondi cette notion du droit naturel et abstrait de propriété[3]. Pour lui, la propriété de chacun sur sa « personne et sur les choses acquises par ses recherches ou ses travaux » est antérieure, au moins logiquement, à la société civile ; nous l’apportons dans cette société, sous la garde de laquelle nous la plaçons ; et les lois humaines, qui d’après la doctrine physiocratique sont faites pour garantir des droits, mais non pour en créer[4], doivent s’incliner devant la « nécessité de maintenir la propriété et la liberté dans toute leur étendue naturelle et primitive[5] ».

La propriété est le fondement de l’ordre social tout entier ; elle porte manifestement le caractère d’une « institution divine[6] ». Elle est de trois sortes : 1° la propriété

  1. Ordonnance royale de 1692. — Voir aussi le Mémoire pour l’instruction du Dauphin, de Louis XIV.
  2. Maximes générales du gouvernement économique, Ve maxime.
  3. Dans les Physiocrates, édition Guillaumin, 1846, t. I, pp. 613 et s. — On peut voir tout simplement l’analyse que Dupont fit de cet ouvrage en 1768, sous le titre De l’origine et des progrès d’une science nouvelle (même volume p. 344).
  4. Mercier de la Rivière, op. cit., p. 616.
  5. Mercier de la Rivière, ibid.
  6. « Il ne nous est plus possible, dit-il, de ne pas reconnaître le droit de propriété pour être une institution divine, pour être le moyen par lequel nous sommes destinés, comme cause seconde, à perpétuer le grand œuvre de la création et à coopérer aux vues de son Auteur. Il a voulu que la terre