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pour l’année. Colbert se croyait obligé de justifier ces permissions par la considération que « le débit pourrait apporter beaucoup d’argent[1] » : mais leur brièveté arrêtait toute spéculation de quelque importance, dans un temps surtout où les correspondances et les transports étaient nécessairement fort longs. Les sorties n’avaient lieu très souvent qu’avec le paiement des droits ou au moins de la moitié des droits « suivant le tarif[2] ». Et quand la sortie était prohibée, elle l’était avec une impitoyable rigueur : témoin la peine de mort prononcée dès 1626, puis reproduite ; dans la déclaration du 22 décembre 1698, et enfin dans les arrêts du Conseil de 1710, de 1711 et de 1712. Ces dernières dates, d’ailleurs, rappellent des périodes de famine pour la France, et l’exportation ne pouvait guère être, alors ni une menace pour le royaume, ni une cause de bénéfice pour le vendeur.

Souvent aussi, de maladroites : interventions de l’administration décourageaient ou paralysaient la culture : tantôt, comme en 1692 et 1693, on permit au premier venu d’emblaver les terres qui ne l’auraient pas été ; tantôt, comme en 1709, après le terrible hiver qui gela les blés, on voulut réserver pour la consommation tout ce qu’il y avait de grains dans les greniers, on défendit aux cultivateurs de réensemencer les terres en orge et en blé de mars, et il était trop tard quand on s’aperçut que les paysans, meilleurs juges, chacun pour soi, de l’apparence de leurs récoltes, avaient eu raison de croire leurs emblavures perdues par la rigueur de la saison. Citons encore

  1. Lettre du 29 décembre 1669 à l’intendant de Bourgogne (voyez P. Clément, Colbert, t. II, p. 53). — Cependant Clément, très favorable à Colbert, le félicite d’avoir permis l’exportation pendant dix ans et quatre mois au total, sur une période de quatorze ans, de 1669 à 1683 (Op. cit., t. II, p. 56). M. des Cilleuls juge Colbert plus sévèrement (Histoire et régime de la grande industrie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 29).
  2. Suivant le tarif de 1664, les droits étaient de 22 livres le muid. Avec le muid de 12 setiers, c’est-à-dire de 1.478 k. de blé, et avec la livre à 1 fr. 86 sous Colbert (nous ne nous occupons pas des changements de pouvoir de la monnaie), on trouve que les droits correspondaient à 2 fr. 77 les 100 kilos.