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richesse » — ce qui va être une théorie purement physiocratique — et il exprime à ce sujet une foule d’observations assez originales. Cantillon, par exemple, avait-il une vague intuition de ce qui devait être la doctrine de Ricardo, lorsqu’il écrivait que « le prix ou valeur intrinsèque d’une chose est la mesure de la quantité de terre et du travail qui entre dans sa production, eu égard à la bonté ou produit de la terre et à la qualité du travail[1] » ? Le deuxième livre traite de rechange et de la circulation du numéraire, avec des vues judicieuses sur la manière dont la loi de l’offre et de la demande fixe le juste prix des choses par le procédé de ce qu’il appelle l’altercation entre le vendeur et l’acheteur. Cantillon s’y montre partisan de la liberté de l’intérêt, dont le taux, semblable au prix de toutes les choses, est régi par des lois naturelles. Enfin le livre III est consacré au commerce international : c’est un mercantilisme assez éclectique et sans système bien coordonné. Cité par Turgot et recommandé par Gournay, cet auteur était connu des physiocrates, et peut-être ne fut-il pas sans quelque influence sur eux.

Ce qui fait l’originalité de Cantillon, c’est sa distinction entre la « richesse en elle-même », d’une part, c’est-à-dire étudiée dans un pays isolé et supposé sans relations avec les autres, puis, d’autre part, la « richesse comparative », qui « consiste, dit-il, — toutes autres choses étant égales — dans la plus ou moins grande abondance d’argent qui circulé hic et nunc » dans les États[2]. L’argent a donc, selon lui, une double fonction : mesure des valeurs à l’intérieur d’une nation, il est entre elles la mesure comparative de leurs richesses. « Le vrai corps de réserve d’un État, dit Cantillon, est l’or et l’argent, dont la plus grande ou la plus petite quantité actuelle déter-

  1. Essai, 1. I, ch. x, c’est le titre même de ce chapitre, moins le dernier membre de phrase.
  2. Essai, 1. II, ch. viii.